REJB 1998-06632 – Texte intégral
Cour suprême du Canada
NO : 25173
DATE :
4 juin 1998
EN PRÉSENCE DE :
Claire
L'Heureux-Dubé
, J.C.S.C.
John
Sopinka
, J.C.S.C.
Charles D.
Gonthier
, J.C.S.C.
Peter de C.
Cory
, J.C.S.C.
Beverley M.
McLachlin
, J.C.S.C.
John C.
Major
, J.C.S.C.
Michel
Bastarache
, J.C.S.C.
Veluppillai Pushpanathan (Pushpanathan Velupillai)
Appelant
c.
Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
Intimé
et
Le Conseil canadien pour les réfugiés
Intervenant
Bastarache, J. (L'Heureux-Dubé,
Gonthier et McLachlin, JJ., souscrivant):–
1
Le présent pourvoi soulève deux questions importantes
concernant l'admissibilité des réfugiés au Canada. Premièrement,
quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié? Deuxièmement,
quel sens faut-il donner aux mots «coupables d'agissements contraires aux
buts et aux principes des Nations Unies» appliqués aux personnes
exclues du statut de réfugié? Cette exclusion prévue
à la section F
c) de l'article premier de la
Convention
relative au statut des réfugiés des Nations Unies, R.T. Can.
1969 n° 6, est incorporée au droit canadien par le par. 2(1) de la
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. 1-2. Son interprétation
doit donc être faite par rapport au droit interne du Canada.
I. Contexte factuel
2
Les faits pertinents du présent pourvoi ne sont pas contestés.
L'appelant, Veluppillai Pushpanathan, a quitté son pays natal, le Sri
Lanka, en 1983 et a passé un certain temps en Inde et en France avant son
arrivée au Canada, via l'Italie, le 21 mars 1985. Il a revendiqué
le statut de réfugié au sens de la Convention, conformément
à la
Loi sur l'immigration (anciennement
Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52), en faisant valoir qu'il avait
déjà été détenu par les autorités sri
lankaises en raison de ses activités politiques et qu'il risquait
vraisemblablement d'être persécuté s'il était renvoyé
dans son pays de citoyenneté. Cette revendication n'a cependant été
l'objet d'aucune décision, car en mai 1987, l'appelant s'est vu reconnaître
le statut de résident permanent en application d'un programme
administratif et il avait le droit de rester au Canada pour cette raison.
3
En décembre 1987, l'appelant et sept autres individus ont été
arrêtés pour complot en vue de faire le trafic d'un stupéfiant,
infraction prévue par l'al. 423(1)
d) du
Code criminel,
S.R.C. 1970, ch. C-34, et par le par. 4(1) de la
Loi sur les stupéfiants,
S.R.C. 1970, ch. N-1. L'appelant a plaidé coupable; quatre autres membres
du groupe ont en outre été déclarés coupables. Lui même
avait, au moins trois fois, vendu de l'héroïne brune à un
agent de la GRC; au moment de son arrestation, le groupe dont M. Pushpanathan
faisait partie avait en sa possession une quantité d'héroïne
d'une valeur marchande d'une dizaine de millions de dollars. M. Pushpanathan a
été condamné à la prison pour huit ans, tandis que
ses coïnculpés ont écopé de peines allant de quatre
à dix ans d'emprisonnement.
4
Le 23 septembre 1991, l'appelant, qui bénéficiait d'une libération
conditionnelle, a renouvelé sa revendication du statut de réfugié
au sens de la Convention en vertu de la
Convention relative au statut des réfugiés
des Nations Unies (la «Convention»), mise en oeuvre par la
Loi
sur l'immigration (la
«Loi»). Je parle de renouvellement parce qu'il n'est pas certain que
la revendication initiale de mars 1985 ait jamais été abandonnée.
Le 22 juin 1992, une mesure d'expulsion conditionnelle a été prise
à son endroit par Emploi et Immigration Canada en vertu de l'al. 27(1)
d)
et du par. 32.1(2) de la Loi, qui disposent qu'un résident permanent déclaré
coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale pour
laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été
imposée peut être expulsé. Comme l'expulsion est subordonnée
au rejet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié au
sens de la Convention, la revendication de M. Pushpanathan a été déférée
à la Section du statut de réfugié de la Commission de
l'immigration et du statut de réfugié. La Commission a décidé
que l'appelant n'était pas un réfugié au sens de la
Convention. Saisies d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de
première instance de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale
ont refusé d'infirmer cette décision. M. Pushpanathan se pourvoit
devant notre Cour.
II. Cadre législatif
5
Le paragraphe 2(1) de la Loi définit le terme «réfugié
au sens de la Convention»:
[...] Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée
du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son
appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays,
[...]
Sont exclues de la présente
définition les personnes soustraites à l'application de la
Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le
texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.
6
Cet article de la Convention est ainsi conçu:
ARTICLE PREMIER
Définition du terme «réfugié»
[...]
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux
personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:
a)
qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime
contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés
pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b)
qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays
d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
c)
qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux
principes des Nations Unies.
7
Les personnes visées par ces dispositions ne sauraient bénéficier
d'aucune des protections de la Convention. Elles sont exclues d'emblée du
statut de réfugié.
8
Pour comprendre l'importance des exclusions énoncées à
l'article premier, il faut les placer dans le contexte d'autres dispositions de
la Convention qui précisent les conditions restreintes auxquelles le bénéfice
du statut peut être refusé aux réfugiés authentiques:
ARTICLE 33
Défense d'expulsion et de refoulement
1
Aucun des États Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière
que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires
où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa
race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses opinions politiques.
2 Le bénéfice de la présente disposition ne pourra
toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura
des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité
du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une
condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement
grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.
9
Les circonstances précises qui satisfont au par. 33(2) sont définies
plus en détail dans la Loi:
53.(1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et
(3) [qui traitent du pouvoir d'expulsion conféré au ministre], la
personne à qui le statut de réfugié au sens de la
Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou
des règlements, [...] ne peut être renvoyée dans un pays où
sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe
social ou de ses opinions politiques, sauf si elle appartient à l'une des
catégories non admissibles visées:
a) à l'alinéa 19(1)
c) ou au
sous-alinéa 19(1)
c.1)(i) et que, selon le ministre, elle
constitue un danger pour le public au Canada;
b) aux alinéas
19(1)
e),
f),
g),
j),
k) ou
l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité
du Canada.
10
L'alinéa qui pourrait s'appliquer à la situation de l'appelant
est l'al. 19(1)
c):
EXCLUSION ET RENVOI
Catégories non admissibles
19.
(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non
admissible:
[...]
c) celles qui ont été
déclarées coupables, au Canada, d'une infraction qui peut être
punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement
maximal égal ou supérieur à dix ans;
11
Parmi les autres motifs justifiant le refoulement d'un réfugié
que prévoit l'article 19, signalons: la déclaration de culpabilité
à l'étranger pour une infraction qui, si elle était commise
au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d'un
emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans (19(1)
c.1)(i));
la commission antérieure d'actes de terrorisme, d'espionnage ou de
subversion contre des institutions démocratiques, ou l'existence de
motifs de croire que de tels actes seront commis (19(1)
e) et
f));
l'existence de motifs de croire qu'une personne commettra des actes de violence
au Canada (19(1)
g)); la commission de crimes de guerre ou de crimes
contre l'humanité (19(1)
j)); les personnes qui constituent un
danger pour la sécurité du Canada (19(1)
k));
l'appartenance ou la participation à un gouvernement qui se livre au
terrorisme, à des violations graves ou répétées des
droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l'humanité
(19(1)
l)).
12
S'il conclut à l'existence de l'un de ces motifs, alors, pour
justifier le refoulement, le ministre doit en outre décider, en vertu des
al. 53(1)
a) ou
b) selon le cas, que la personne constitue un
danger pour le public au Canada ou qu'elle constitue un danger pour la sécurité
du Canada.
13
Par contraste, les personnes visées par la section F de l'article
premier de la Convention sont automatiquement exclues des protections de la Loi.
Non seulement peuvent-elles être refoulées dans le pays qu'elles
ont fui sans que le ministre ait déterminé qu'elles constituaient
un danger pour le public ou pour la sécurité du pays, mais encore
leur revendication du statut de réfugié ne sera pas examinée
au fond. Les conséquences pratiques d'une telle exclusion
automatique, par rapport aux garanties prévues par l'art. 19, sont
profondes.
14
Voilà à le contexte dans lequel il faut étudier
l'interprétation de l'exclusion énoncée à la section
F
c) de l'article premier de la Convention.
III. Historique judiciaire
A. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié
15
La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a décidé
que M. Pushpanathan n'était pas un réfugié en raison de
l'exclusion prévue à la section F
c) de l'article
premier. Elle a également conclu qu'en faisant le trafic de stupéfiants,
l'appelant avait commis un crime contre l'humanité, cas visé
à la section F
a) de l'article premier. Les parties sont
convenues que cette conclusion était erronée et n'ont débattu
ce point dans aucun des appels.
16
Citant plusieurs conventions des Nations Unies, la Commission a estimé
que ces documents expliquent «clairement que, depuis de nombreuses années,
les Nations Unies ont consacré beaucoup de temps et d'énergie
à l'élimination du trafic illicite des stupéfiants».
La Commission a admis l'argument selon lequel la suppression de ce trafic
était l'un des buts et principes des Nations Unies et que le trafic de
l'héroïne était un acte contraire à ces buts et
principes. Elle a en outre repoussé l'affirmation voulant que la section
F
c) de l'article premier ne s'applique qu'aux représentants de
l'État, ou seulement dans le cas des crimes pérpétrés
en dehors du pays d'accueil.
B. Demande de contrôle judiciaire devant la Section de première
instance de la Cour fédérale
17
La Cour fédérale a été saisie d'une demande de
contrôle judiciaire en conformité avec le par. 82.1(1) de la Loi.
Elle a rejeté la demande: [1993] A.C.F. n
o 870 (QL). Le juge
McKeown a estimé que la Commission avait «raisonnablement conclu»
que l'appelant était exclu par la section F
c) de l'article
premier de la Convention et que «de sérieuses raisons
justifi[ai]ent» cette conclusion. Premièrement, il était
raisonnablement permis de conclure que les mesures prises pour mettre un frein
au trafic des drogues pouvaient être considérées comme
faisant partie des buts et principes des Nations Unies, encore que dans certains
cas, l'article puisse ne pas s'appliquer en raison de la nature de la violation.
Deuxièmement, la cour a rejeté l'argument voulant que la section F
c)
de l'article premier ne s'applique qu'aux représentants de l'État.
Troisièmement, elle a conclu que cette section n'autorisait pas l'évaluation
relative de la nature de I'infraction perpétrée et du risque de
persécution auquel le requérant était exposé.
18
Malgré ces conclusions, la cour a certifié «que
l'affaire soul[evait] une question grave de portée générale»,
accordant ainsi au requérant le droit de se pourvoir devant la Cour
d'appel fédérale en application du par. 83(1) de la Loi. La Cour a
énoncé la question comme suit: «La Section du statut de réfugié
[de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié]
commet-elle une erreur de droit en interprétant l'alinéa
c)
de la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative
au statut des réfugiés de manière à exclure du
statut de réfugié un individu coupable d'une grave infraction visée
par la Loi sur les stupéfiants qui a été commise au Canada?»
C. Question certifiée en Cour d'appel fédérale
19
À l'unanimité, la Cour d'appel fédérale a
confirmé la décision de la Section de première instance:
[1996] 2 C.F. 49
. Elle a décomposé la question en quatre éléments
(à la p. 57):
1) La section F
c) de l'article premier de la Convention
s'applique-t-elle aux actes que commet un revendicateur du statut de réfugié
au sein du pays d'accueil après son arrivée dans ce dernier?
2)
La section F
c) de l'article premier peut-elle s'appliquer à une
personne déjà reconnue coupable de tels actes?
3) La
section F
c) de l'article premier s'applique-t-elle à une
personne à l'égard d'actes non commis pour le compte d'un État
ou d'un gouvernement?
4) L'acte consistant à comploter en vue de
faire le trafic de stupéfiants est-il contraire aux buts et aux principes
des Nations Unies?
20
S'exprimant au nom de la cour, le juge Strayer s'est d'abord arrêté
aux règles d'interprétation qu'il convient d'appliquer pour déterminer
la portée de la section F
c) de l'article premier. Il a fait
observer que le recours aux règles d'interprétation des traités
à titre d'aides explicatives est admis lorsque, comme en l'espèce,
une loi intègre un traité. Il a estimé que, de toute façon,
vu que cette disposition a été adoptée textuellement dans
la loi, les règles d'interprétation des traités
s'appliquent certainement. S'appuyant sur cette norme, il a décidé
que ces règles, «plus souples pourrait-on soutenir»,
permettent de tenir compte d'autres facteurs, notamment les autres dispositions
du traité, même celles qui ne sont pas mises en oeuvre ni intégrées
par la loi, et les travaux préparatoires. Cependant, le juge Strayer a
fait observer qu'«aucune des règles d'interprétation des
lois ou des traités n'autorise une cour
à faire entièrement abstraction du libellé exprès
qui est finalement adopté dans le traité ou la loi, en faveur de
vagues déclarations d'intention tirées de sources extrinsèques
qui ne font pas ressortir d'ambiguïté dans le texte du
traité ou de la loi d'adoption» (pp. 59 et 60). Jugeant que les
travaux préparatoires étaient difficiles à comprendre et ne
reflétaient que l'intention d'une petite partie des signataires, le juge
a refusé de se guider sur ces travaux, préférant «se
concentrer davantage sur le texte définitif approuvé» (p.
60). De plus, il a présumé que, comme toute loi, chaque
disposition d'un traité est conçue pour avoir un objet et un sens
particuliers, à moins qu'il soit impossible d'en attribuer un. Enfin, le
juge Strayer a affirmé, eu égard à la manière
convenable d'interpréter les exclusions du statut de réfugié,
qu'il n'y avait pas lieu de privilégier l'interprétation étroite
simplement parce que le traité est un instrument de défense des
«droits de l'homme». Il convient plutôt de donner «l'interprétation
la plus conforme à la justice et à la raison» aux exceptions
prévues au «droit extraordinaire d'accueil» (p. 61).
21
Après avoir expose ces principes, la cour a conclu que, premièrement,
la section F
c) de l'article premier peut s'appliquer aux actes commis
dans le pays d'accueil; deuxièmement, elle peut s'appliquer aux personnes
déjà reconnues coupables des actes mentionnés; troisièmement,
elle peut s'appliquer à une persorme qui n'a pas agi pour le compte d'un
État ou d'un gouvernement; quatrièmement, le fait de comploter en
vue de faire le trafic de stupéfiants est un acte contraire aux buts et
aux principes des Nations Unies. L'appelant n'était donc pas un réfugié,
étant exclu du bénéfice de la Convention en vertu de la
section F
c) de l'article premier.
IV. Questions en litige
22
Il faut trancher trois questions pour statuer sur le présent pourvoi.
Premièrement, quelle est la norme de contrôle applicable à
la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?
Deuxièmement, quel est le rôle des règles d'interpretation
des traités dans I'interprétation de la section F
c) de
l'article premier? Troisièmement, le trafic des drogues auquel s'est livré
l'appelant entre-t-il dans les «agissements contraires aux buts et aux
principes des Nations Unies»?
V. Analyse
A. Norme de contrôle
23
Ni dans les jugements des instances inférieures, ni dans
l'argumentation écrite soumise à notre Cour la question de la
norme de contrôle appropriée à l'égard des décisions
de la Section du statut de réfugié de la Commission de
['immigration et du statut de réfugié n'a été examinée.
Le juge McKeown de la Section de première instance a bien estimé
que la Commission avait «raisonnablement conclu» que l'appelant
était exclu par la section F
c) de l'article premier de la
Convention et que «de sérieuses raisons justifi[ai]ent» cette
conclusion; il semble donc avoir appliqué la norme du caractère
raisonnable. Toutefois, en certifiant la question à soumettre à la
Cour d'appel, il a parlé d'«erreur de droit», donnant
à penser que la norme à appliquer est celle de la décision
correcte. La Cour d'appel s'est contentée de répondre à la
question certifiée. Elle ne s'est pas penchée sur la norme de
contrôle appliquée par les tribunaux inférieurs, ni sur
l'opportunité de I'application de cette norme.
24
Pourtant, le par. 83(1) commande un tel examen. Il est ainsi conçu:
83.(1) Le
jugement de la Section de
première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande
de contrôle judiciaire [. . .]
ne peut être porté en
appel devant la Cour d'appel fédérale que si la Section de
première instance certifie dans son jugement que l'affaire
soulève une question grave de portée générale
et énonce celle-ci. [Je souligne]
25
Sans la certification d'une «question grave de portée générale»,
l'appel ne serait pas justifié. L'objet de l'appel est bien le jugement
lui-même, et non simplement la question certifiée. L'un des
éléments nécessaires pour trancher la demande de contrôle
judiciaire est la norme de contrôle applicable au jugement du tribunal
administratif qui fait l'objet du contrôle, et cette question est de toute
évidence en cause dans le présent pourvoi. Quoique notre Cour soit
peu disposée à statuer sur des questions qui n'ont pas été
débattues à fond devant elle, le présent pourvoi ne saurait
être tranché sans détermination préalable de la norme
de contrôle applicable.
26
La détermination de la norme de contrôle que la cour de justice
doit appliquer est centrée sur l'intention du législateur qui a créé
le tribunal dont la décision est en cause. Plus précisément,
la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit se
demander: «La question soulevée par la disposition est-elle une
question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel
exclusif de la Commission?» (
Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers'
Compensation Board
),
[1997] 2 R.C.S. 890
, par. 18, le juge Sopinka).
27
Depuis l'arrêt
Syndicat national des employés de la
commission scolaire régionale de l'Outaouais c. Union des employés
de service, local 298
[1988] 2 R.C.S. 1048
, notre Cour a décidé
que l'interprétation des lois exige la prise en compte de plusieurs
facteurs différents dont aucun n'est décisif mais qui fournissent
chacun une indication s'inscrivant sur le continuum du degré de retenue
judiciaire approprié pour la décision en cause. C'est ce qu'on a
appelé l'analyse «pragmatique et fonctionnelle». Cette méthode
plus nuancée pour déterminer l'intention du législateur se
reflète aussi dans l'éventail des normes de contrôle
possibles. Traditionnellement, la norme de la «décision correcte»
et la norme du
«caractère manifestement déraisonnable» étaient
les deux seules méthodes à la disposition de la cour
appelée à exercer le contrôle judiciaire. Mais dans
Canada
(Director of Investigation & Research) c. Southam Inc.
[1997] 1 R.C.S. 748
, la norme de la «décision raisonnable
simpliciter» a été appliquée, étant
jugée la plus fidèle à l'intention du législateur
quant a la compétence conférée au tribunal. En effet, la
Cour a affirmé que l'éventail des nonnes existantes était
un «spectre» dont l'une des extrémités exige «le
moins de retenue» et l'autre en exige «le plus» (par. 30).
28
Bien que la terminologie et la méthode de la question «préalable»,
«accessoire» ou «de compétence» aient été
remplacées par cette analyse pragmatique et fonctionnelle, l'accent est
tout de même mis sur la disposition particulière invoquée et
interprétée par le tribunal. Certaines dispositions d'une même
loi peuvent exiger plus de retenue que d'autres, selon les facteurs qui seront
exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il
convient toujours, et il est utile, de parler des «questions de compétence»
que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence.
Mais il faut bien comprendre qu'une question qui «touche la compétence»
s'entend simplement d'une disposition à l'égard de laquelle la
norme de contrôle appropriée est celle de la décision
correcte, en fonction du résultat de l'analyse pragmatique et
fonctionnelle. Autrement dit, une «erreur de compétence» est
simplement une erreur portant sur une question à l'égard de
laquelle, selon le résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le
tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l'égard
de laquelle il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue.
(1) Facteurs à prendre en considération
29
Les facteurs à prendre en considération pour déterminer
la norme de contrôle ont été étudiés à
fond dans un certain nombre d'arrêts récents de notre Cour. On peut
les répartir dans quatre catégories.
(i) Clauses privatives
30
L'absence de clause privative n'implique pas une norme élevée
de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante.
Toutefois, la présence d'une telle clause «intégrale»
atteste persuasivement que la cour doit faire montre de retenue à l'égard
de la décision du tribunal administratif, sauf si d'autres facteurs suggèrent
fortement le contraire en ce qui à trait a la décision en cause.
La clause privative intégrale est «celle qui déclare que les
décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires,
qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et que toute forme de contrôle
judiciaire est exclue dans leur cas» (
Pasiechnyk, précité,
au par. 17, le juge Sopinka). Sauf indication contraire de la clause privative,
l'emploi des termes «final et sans appel» est suffisant, mais
d'autres mots pourraient suffire, s'ils sont tout aussi explicites (
C.J.A.,
Local 579 c. Bradco Construction Ltd.
[1993] 2 R.C.S. 316
, aux pp. 331 et
333). À l'autre extrémité du spectre se situe la clause
d'une loi permettant les appels., facteur qui suggère une norme de contrôle
plus stricte.
31
Certaines lois sont muettes ou équivoques quant à la norme de
contrôle voulue par le législateur. La Cour a conclu dans
Bradco
que la disposition prévoyant la soumission, pour «règlement
final», à l'arbitrage «se situe quelque part entre une clause
privative intégrate et une clause prescrivant un examen complet
par voie d'appel» (pp. 331 et 333). Le juge Sopinka a examiné
ensuite d'autres facteurs pour décider qu'il y avait lieu de faire preuve
de retenue à l'égard de la décision de l'arbitre.
Essentiellement, une clause privative partielle ou équivoque est une
clause qui s'inscrit dans le processus d'ensemble d'appréciation des
facteurs selon lesquels est déterminée l'intention du législateur
quant au degré de retenue judiciaire, et qui n'a pas l'effet d'exclusion
de la clause privative intégrale.
(ii) Expertise
32
Pour reprendre les paroles du juge Iacobucci dans l'arrêt
Southam,
précité, au par. 50, il s'agit du «facteur le plus important
qu'une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle
applicable». Ce facteur englobe plusieurs aspects. Si le tribunal est doté
d'une certaine expertise quant à la réalisation des objectifs
d'une loi, que ce soit en raison des connaissances spécialisées de
ses membres, de sa procédure spéciale ou de moyens non judiciaires
d'appliquer la loi, il y a lieu de faire preuve de plus de retenue. Dans
Southam,
la Cour a estimé qu'il fallait accorder beaucoup d'importance à la
composition et à l'expertise du tribunal visé par la
Loi sur
la concurrence qui le rendent plus à même qu'une cour de
justice de trancher des questions concernant la compétitivité, en
général, et la définition du marché pertinent pour
ce qui est du produit, en particulier.
33
Néanmoins, l'expertise doit être tenue pour une notion relative
et non absolue. Comme l'a expliqué le juge Sopinka dans
Bradco,
précité, à la p. 335: «Par centre, lorsque,
comparativement au tribunal d'examen, le tribunal administratif manque d'
expertise
relative en ce qui concerne la question dont il a été saisi,
cela justifie de ne pas faire preuve de retenue» (je souligne).
L'évaluation de l'expertise relative comporte trois dimensions: la cour
doit qualifier l'expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre
expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la
nature de la question précise dont était saisi le tribunal
administratif par rapport à cette expertise. De nombreux arrêts ont
conclu que le législateur a voulu accorder une vaste marge de manoeuvre
pour la prise de décision relativement à certaines questions
tandis que d'autres sont régulièrement assujetties à la
norme de la décision correcte. Ces arrêts sont analyses plus loin,
dans la quatrième section intitulée «Nature du problème».
Le critère de l'expertise et la nature du problème sont étroitement
liés.
34
Toutefois, une fois établie l'expertise relative, la Cour est parfois
disposée à faire preuve de beaucoup de retenue même dans des
cas faisant jouer des questions très générales d'interprétation
de la loi, si le texte en cause est la loi constitutive du tribunal. Dans
Pezim
c. Biitish Columbia (Superintendent of Brokers
),
[1994] 2 R.C.S. 557
, la définition
donnée par la British Columbia Securities Commission à la notion
très générale de «changement important» au sens
de la
Securities Act a été appréciée selon
la norme du caractère déraisonnable. Le juge Iacobucci a dit que
«[l]es tribunaux ont
également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique
a l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais
aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle
et de son expertise» (p. 590). Cela peut inclure l'interprétation
d'une loi qui exige le recours au traité mis en oeuvre par cette loi,
comme dans
National Corn Growers Assn. c. Canada (Canadian Import Tribunal)
[1990] 2 R.C.S. 1324
, où la norme du caractère manifestement déraisonnable
a été appliquée à l'interprétation d'une
disposition d'un traité parce que la nature réglementaire et
économique de la décision engageait à la retenue, en dépit
du caractère général de son application.
35
Bref, une décision qui comporte jusqu'à un certain point
l'exercice d'une expertise hautement spécialisée milite en faveur
d'un degré élevé de retenue, et donc de la norme du caractère
manifestement déraisonnable à l'une des extrémités
de la gamme.
(iii) Objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause
36
Comme le juge Iacobucci l'a fait remarquer dans l'arrêt
Southam,
précité, au par. 50, l'objet et l'expertise se confondent souvent.
L'objet de la loi est souvent indiqué par la nature spécialisée
du régime législatif et du mécanisme de règlement
des différends, et la nécessité de l'expertise se dégage
souvent autant des exigences énoncées dans la loi que des qualités
des membres du tribunal. Lorsque les objectifs de la loi et du décideur
sont définis non pas principalement comme consistant à établir
les droits des parties, ou ce qui leur revient de droit, mais bien à réaliser
un équilibre délicat entre divers intérêts, alors
l'opportunité d'une supervision judiciaire diminue. Ainsi, dans l'arrêt
National Corn Growers, précité, à la p. 1336, le
juge Wilson a décrit la fonction du tribunal en termes de «gestion»,
en partie en raison de la connaissance spécialisée des membres du
tribunal, mais aussi en raison de l'éventail des réparations
possibles, dont l'imposition de droits compensateurs par le ministre (p. 1346).
Dans l'arrêt
Southam, la Cour a conclu, au par. 48, que «les
objectifs visés par la Loi sont davantage «économiques»
que strictement «juridiques», parce que les objectifs généraux
de la Loi «sont des questions que les gens d'affaires et les économistes
sont plus à même de comprendre que les juges en général».
Elle a appuyé cette conclusion sur le fait que la loi avait créé
un tribunal dont les membres avaient une connaissance spécialisée
dans ces domaines. Présentent aussi une importance la gamme des mesures
administratives que peut prendre le tribunal administratif, le fait qu'il joue
un «rôle protecteur» vis-à-vis du public investisseur
et qu'il joue aussi un rôle en matière d'établissement des
politiques; arrêt
Pezim, précité,
à la p. 596. Si les principes juridiques sont vagues, non limitatifs, ou
font intervenir un critère de pondération comptant de multiples
facteurs, cela peut également militer en favour d'une norme de contrôle
moins exigeante (arrêt
Southam, précité, au par.
44). Ce sont tous là des manifestations concrètes du principe général
de la «polycentricité» que les universitaires connaissent
bien et qui, d'après eux, justifie le mieux la retenue dont les tribunaux
judiciaires doivent faire preuve à l'endroit des organismes non
judiciaires. Une [TRADUCTION] «question polycentrique fait intervenir un
grand nombre de considérations et d'intérêts entremêlés
et interdépendants» (P. Cane,
An Introduction to
Administrative Law, (3
e ed. 1996), à la p. 35). Certes,
la procédure des tribunaux judiciaires repose fondamentalement sur
l'opposition bipolaire des parties, des intérêts et sur l'établissement
des faits, mais certains problèmes exigent la prise en compte de nombreux
intérêts simultanément et l'adoption de solutions de nature
à assurer en même temps un équilibre entre les coûts
et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes. Quand un régime
administratif ressemble davantage à ce modèle, les cours de
justice feront preuve de retenue. Le principe de polycentricité est utile
lorsqu'il s'agit de saisir la diversité des critères élaborés
sous la rubrique de l'«objet de la loi».
(iv) Nature du problème: question de droit ou de fait?
37
Je le répète, il peut convenir de faire preuve d'un degré
élevé de retenue même à l'égard de pures
questions de droit, si d'autres facteurs de l'analyse pragmatique et
fonctionnelle semblent indiquer que cela correspond à l'intention du législateur,
comme notre Cour l'a décidé dans l'arrêt
Pasiechnyk, précité. Toutefois, en cas d'ambiguïté
des autres facteurs, les cours de justice doivent faire preuve de moins de
retenue à l'égard des décisions qui portent sur de pures
questions de droit. Le fondement de cette assertion est lié à la
question de l'expertise relative mentionnée précédemment.
Il n'y a pas de démarcation nette entre les questions de droit
et les questions de fait et, de toute façon, nombre de décisions
ont trait à des questions mixtes de droit et de fait. Le juge lacobucci a
énoncé un critère décisif pertinent dans l'arrêt
Southam, précité, au par. 37:
Il va de soi qu'il n'est pas facile de dire avec précision où
doit être tracée la ligne de démarcation; quoique, dans la
plupart des cas, la situation soit suffisamment claire pour permettre de déterminer
si le litige porte sur une proposition générale qui peut être
qualifiée de principe de droit ou sur un ensemble très particulier
de circonstances qui n'est pas susceptible de présenter beaucoup d'intérêt
pour les juges et les avocats dans l'avenir.
Ce principe a également
été formulé dans
Canada (Atorney General) c. Mossop
[1993] 1 R.C.S. 554
, par le juge L'Heureux-Dubé qui, aux pp. 599 et 600,
a cherché à clarifier les limites des distinctions fondées
sur ce critère:
Les cours de justice font généralement preuve de
retenue à l'égard des questions de fait en raison de «l'avantage
capital» dont jouit le juge des faits. Toutefois, elles font preuve d'une
moins grande retenue relativement à des questions de droit, notamment
parce que le juge des faits n'a peut-être pas acquis une connaissance
particulière des questions de droit, Bien qu'il existe une distinction
entre les questions de fait et de droit, cette distinction n'est pas toujours
évidente. Les organismes spécialisés sent souvent appelés
à se prononcer sur des questions de fait et de droit difficiles. Il
arrive que les deux soient inextricablement liées. En outre, l'interprétation
«juste» d'un terme peut dépendre du mandat de l'organisme et
de la jurisprudence homogène qu'il a élaborée. Dans
certains cas, même si une cour de justice n'est pas d'accord avec une
interprétation donnée. l'intégrité de certains mécanismes
administratifs pourrait bien exiger qu'elle fasse preuve de retenue relativement
à cette interprétation du droit.
Sa dissidence dans
cet arrêt était essentiellement fondée sur sa désapprobation
des opinions des juges majoritaires qui qualifiaient le tribunal des droits de
la personne de tribunal n'ayant aucune expertise par rapport aux cours de
justice en matière de compréhension et d'interprétation des
lois sur les droits de la personne. Néanmoins, les
principes analysés dans la citation qui précède
exposent correctement le droit. Cela a été confirmé dans
Pasiechnyk, précité, aux par. 36 à 42, où
I'expertise de la commission des accidents du travail pour déterminer
tous les aspects de «l'admissibilité» sous ce régime a
été considérée suffisamment vaste pour qu'elle
puisse statuer que le mot «employeur» visait les réclamations
dirigées centre le gouvernement pour négligence dans la réglementation
des travaux de deux compagnies qui avaient résulté en des
blessures à des travailleurs. Les réclamations centre le
gouvernement à litre d'organisme de réglementation n'étaient
donc pas admissibles en vertu de la décision en question. Accueillir une
telle réclamation «minerait les objectifs du régime»
qui étaient de «résoudre [le problème] de
l'insolvabilité des employeurs à la suite de l'attribution de
dommages-intérêts élevés» (par. 42). Une telle
conclusion cadre tout à fait avec la description d'une question de droit
que donne le juge Iacobucci: une conclusion revêtant une grande
importance, voire une importance déterminante, pour les décisions
qu'auront à prendre juges et avocats. La création d'un
«régime» législatif jointe à la constitution
d'un tribunal administratif hautement spécialisé, de même
que la présence d'une clause privative stricte étaient suffisantes
pour que la Cour fasse preuve d'une retenue étendue, même sur des
questions de droit extrêmement générales.
38
Gardant à l'esprit que tous les facteurs analysés ici doivent
être pris ensemble pour que l'on obtienne une image de la norme de contrôle
appropriée, la généralité de la proposition tranchée
sera un facteur militant en faveur de l'imposition de la norme de la décision
correcte. Ce facteur recoupe nécessairement les critères déjà
décrits, qui peuvent aller à l'encontre d'une telle présomption,
comme l'a conclu notre Cour a la majorité dans
Pasiechnyk, précité.
Habituellement, cependant, plus les propositions avancées sont générales,
et plus les répercussions de ces décisions s'écartent du
domaine d'expertise fondamental du tribunal, moins il est vraisemblable qu'on
fasse preuve de retenue. En l'absence d'une intention législative
implicite ou expresse à l'effet contraire manifestée dans les critères
qui précèdent, on présumera que le législateur a
voulu laisser aux cours de justice la compétence de formuler des
énoncés de droit fortement généralisés.
(2) La Loi sur l'immigration
39
La Section du statut de réfugié de la Commission de
l'immigration et du statut de réfugié tient sa compétence
des dispositions suivantes:
67. (1) La section du statut a compétence
exclusive, en matière de procédures visées aux articles
69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y
compris des questions de compétence.
82.1 (1) La présentation
d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la
Loi sur la Cour
fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou
ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée
dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application -- règlements
ou règles -- se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de
première instance de la Cour fédérale.
83.
(1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale
rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision
ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le
cadre de la présente loi ou de ses textes d'application règlements
ou règles ne peut être porté en appel devant la Cour
d'appel fédérale que si la Section de première instance
certifie dans son jugement que l'affaire soulève une question grave de
portée générale et énonce celle-ci.
(3) Jurisprudence concernant la norme de contrôle
40
C'est la première fois que notre Cour est appelée à
statuer sur la norme de contrôle applicable aux décisions de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Chose
étonnante, on trouve peu de décisions de la Cour fédérale
portant sur ce point. Dans la plupart des cas, la norme du caractère
manifestement déraisonnable ou de la conclusion «tirée
de façon abusive ou arbitraire» a été appliquée.
Il s'agissait de décisions relatives au contrôle des conclusions de
la Commission sur la crédibilité des témoins:
Yuen c.
Canada (Minister of Employment & Immigration)
, [1994] A. C. F. n
o
1045 (QL) (C.A.);
Franco c. Canada (Minister of Employment &
Immigration)
, [1994] A.C.F. n
o 1011 (QL) (C.A.);
Sornalingum
c. Canada (Minister of Citizenship & Immigration)
1996
197 F.T.R. 128
, le juge MacKay;
Vetter c. Canada (Minister of Employment &
Immigration)
(1994)
89 F.T.R. 17
, le juge Gibson);
Ismaeli c. Canada
(Minister of Citizenship & Immigration)
, [1995] A.C.F. n
o
573 (QL) (1
re inst.), le juge Cullen. La norme de la décision
correcte a été appliquée dans une seule affaire:
Connor
c. Canada (Minister of Citizenship & Immigration)
1995
95 F.T.R. 66
,
le juge Reed).
41
Toutefois, dans l'affaire
Sivasamboo c. Canada (Minister of Citizenship
& Immigration)
[1994] 1 C.F. 741
(1
re inst.), qui portait
directement sur la question soumise à notre Cour, le juge Richard a traité
de ce point en profondeur. Il s'agissait d'une décision de la Commission
selon laquelle les requérants n'étaient pas des réfugiés
parce qu'il existait une «possibilité de refuge intérieur».
Le juge Richard a étudié l'art. 82.1 de la
Loi sur
l'immigration et l'art. 18.1 de la
Loi sur la Cour fédérale,
en application desquels peut être présentée une demande de
contrôle judiciaire d'une décision de la Commission, ainsi que les
motifs justifiant l'infirmation d'une telle décision. Il a examiné
divers précédents faisant alors autorité dont les arrêts
Pezim et
Bradco. Tout en reconnaissant que le par. 67(1) de
la
Loi sur l'immigration n'est pas une clause privative stride, il a
souligné que dans bien des jugements, la cour s'était appuyée
davantage sur la nature spécialisée du tribunal en cause que sur
la présence ou l'absence d'une clause privative; puis, il a signalé
les éléments suivants: a) les possibilités de demande de
contrôle judiciaire sont limitées; b) les décisions de la
Section de première instance ne peuvent être portées
en appel que s'il est certifié, conformément à l'art. 83(1)
de la
Loi sur l'immigration, que l'affaire soulève «une
question grave de portée générale»; c) le processus
de détermination du statut de réfugié n'est généralement
pas contradictoire par nature, et les membres de la Commission sont investis de
larges pouvoirs en matière de présentation de la preuve et de
recherche des faits; d) il n'y a aucune partie adverse; e) le contexte, à
savoir le droit international et la mise en oeuvre de la Convention relative au
statut des réfugiés en droit interne canadien, est fort complexe
et nécessite en conséquence des connaissances spécialisées;
f) les membres de la Commission sont des experts dans leur sphère
d'activité et ils tirent profit des rapports détaillés et
fouillés du Centre de documentation d'Emploi et Immigration Canada. Il
cite un long extrait des observations du professeur James Hathaway sur la
Section du statut de réfugié, dont le passage qui suit, a la p.
758:
[TRADUCTION] En raison du contexte et des diverses considérations
ayant trait à la preuve, il est impérieux de s'écarter des
mécanismes ordinaires de prise de décision. En effet, les décideurs
dont nous avons besoin doivent être à la fois des experts, des
activistes et des personnes engagées, qui chercheront à assurer l'équité
substantielle plutôt que l'application technocratique de la justice. Nous
ne devons pas voir dans les personnes qui revendiquent le statut de réfugié
des adversaires ou une menace, mais plutôt des personnes qui invoquent un
droit qui leur est reconnu par le droit international. C'est en raison de sa détermination
à faire montre d'une telle souplesse et d'une telle sensibilité
que le Parlement a aboli l'ancienne cour d'archives qui était chargée
de statuer sur les revendications du statut de réfugié et lui a
substitué un tribunal spécialisé doté des pourvois
d'enquête et d'une procédure non contradictoire. [Soulignement
omis.]
Enfin, il a estimé que l'arrêt
Mossop,
précité, rendu par notre Cour, pouvait faire l'objet d'une
distinction, car la position d'un tribunal des droits de la personne est différente,
étant donné que sa «décision n'est pas liée
à des questions d'expertise ou de connaissances spéciales et
n'exige pas un degré élevé de retenue». Il a ajouté:
«Les questions qui se posent en l'espèce ne sont pas des questions
générales mettant en cause des principes généraux
d'interprétation de la loi et un raisonnement juridique, mais se
rapportent à l'interprétation d'une définition légale
dans un cadre réglementaire précis et dans le contexte du droit
international». Vu toutes ces considérations, il a conclu que la
norme à appliquer était celle du caractère manifestement déraisonnable,
et que cette norme devait s'appliquer même aux «questions de droit
dont [la Section du statut de réfugié] était saisie»
(p. 761). Pour ces motifs, le juge Richard a rejeté la demande de contrôle
judiciaire, estimant que la décision selon laquelle il existait une
«possibilité de refuge intérieur» n'était pas
manifestement déraisonnable.
(4) La norme qu'il convient d'appliquer: celle de la décision
correcte
42
La décision du juge Richard dans
Sivasamboo, exposée
précédemment de manière assez détaillée,
constitue un plaidoyer admirable pour un degré élevé de
retenue judiciaire à l'égard de la décision de la
Commission. À mon sens, cependant, il appert d'une analyse pragmatique et
fonctionnelle de la Loi qu'il y a lieu en l'espèce d'apprécier la
décision de la Commission selon la norme de la décision correcte.
43
Premièrement, le par. 83(1) serait incohérent si la norme de
contrôle était autre chose que celle de la décision
correcte. L'élément clef de l'intention du législateur
quant à la norme de contrôle est l'utilisation des mots «une
question grave de portée
générale». La portée
générale de la question, c'est-à-dire son applicabilité
à un grand nombre de cas dans le futur, justifie son examen par une cour
de justice. Cet examen aurait-il une utilité quelconque si la Cour
d'appel était tenue de déférer aux décisions
incorrectes de la Commission? Se peut-il que le législateur ait prévu
un appel exceptionnel devant la Cour d'appel sur des questions de «portée
generale», mais ait exigé qu'en dépit de la «portée
générale» de la question, la cour accepte les décisions
de la Commission qui sont erronées en droit, voire clairement
erronées en droit, mais non manifestement déraisonnables? Il n'est
possible de respecter la portée du par. 83(1), telle qu'explicitement
formulée, qu'en autorisant la Cour d'appel -- et, par déduction,
la Section de première instance de la Cour fédérale --
à substituer sa propre opinion à celle de la Commission sur les
questions d'importance générale. Cette assertion s'accorde avec
les observations du juge lacobucci dans
Southam, précité,
au par. 36, selon lesquelles le fait qu'une décision est «susceptible
de s'appliquer à un grand nombre de cas» doit jouer au moment de décider
s'il y a lieu de faire montre de retenue. Bien que certaines décisions
antérieures de la Cour fédérale, dont, on pourrait le
soutenir,
Sivasamboo, aient tranché d'importantes questions de
fait, où à la limite des questions de fait et de droit ayant peu
ou pas de valeur comme précédent, le cas qui nous occupe a pour
sujet principal un motif d'exclusion qui, en tant que question de droit, risque
d'affecter un grand nombre de futurs demandeurs de statut. En réalité,
la décision de la Commission en l'espèce restreindrait de façon
importante son propre rôle comme juge des faits dans de nombreuses
affaires.
44
Bref, le par. 83(1) de la Loi accorde un droit d'appel fondé sur le
critère de la «généralité» . Le principe
décrit dans
Southam et appliqué dans de nombreux autres
arrêts, qui n'est en réalité rien de plus qu'une hypothèse
quant à l'intention du législateur, est renforcé par
l'inclusion explicitement prévue dans la loi.
45
Au surplus, la Commission ne semble avoir aucune expertise relative quant
à la question de droit qui fait l'objet du présent contrôle
judiciaire. Notre Cour a conclu à la majorité dans plusieurs arrêts
que les cours de justice ne devraient pas faire preuve de retenue envers les
tribunaux des droits de la personne relativement aux «questions générales
de droit» (
Mossop, précité, à la p. 585),
ni même relativement à des règles de droit
incontestablement au coeur du processus décisionnel en matière de
droits de la personne. Des observations faites dans d'autres arrêts ont
cependant atténué la nature impérative de cette règle.
Comme l'a dit le juge La Forest pour la Cour siégeant au complet dans
Attis c. New Brunswick District No. 15 Board of Education
[1996] 1 R.C.S. 825
, au par. 29:
Cela dit, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'interpréter
restrictivement l'expertise des tribunaux des droits de la personne en matière
d'appéeciation des faits, et qu'il faille l'apprécier en fonction
des décisions qu'ils sont appelés a rendre. [...]
Une conclusion à l'existence de discrimination repose essentiellement sur
des faits que la commission d'enquête est la mieux placée pour
évaluer. [...] Étant donné la complexité des déductions
probatoires découlant des faits présent's à la commission
d'enquête, il convient de faire preuve d'une certaine retenue envers la
conclusion à l'existence de discrimination, vu l'expertise supérieure
de la commission d'enquête en matière d' appréciation des
faits, laquelle conclusion est étayée par la présence de
mots qui confèrent à la loi constituante un effet privatif limité.
[Je souligne.]
Les juges majoritaires ont adopté une approche semblable dans
Berg
c. University of British Columbia
[1993] 2 R.C.S. 353
, à la p. 370.
46
Bien que le degré précis de retenue dont il faudrait faire
preuve envers un tribunal des droits de la personne puisse toujours être
sujet à controverse, les facteurs militant contre la retenue dans ces
affaires s'appliquent avec beaucoup plus de force aux questions en l'espèce.
Dans ces affaires, le rapport pertinent quant à l'examen de la norme de
contrôle appropriée était celui qui existe entre un tribunal
possédant une expertise et une expérience particulières
dans la prise de décision en matière de droits de la personne, et
les dispositions qui ont pour objectif la protection des droits de la personne.
La disposition en cause ici partage cet objectif. Dans
Ward c. Canada
(Minister of Employment & Immigration)
[1993] 2 R.C.S. 689
, à
la p. 733, le juge La Forest a conclu que l'objectif sur lequel repose la
Convention est «l'engagement qu'a pris la communauté internationale
de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la personne».
Comme je l'expliquerai dans la prochaine section, la section F
c) de
l'article premier est au coeur de cet objectif en matière de droits de la
personne.
47
Mais l'expertise de la Commission en matière de droits de la personne
est beaucoup moins étendue que celle des tribunaux des droits de la
personne. L'expertise de la Commission consiste à apprécier de façon
exacte si les critères nécessaires pour obtenir le statut de réfugié
ont été respectes et, plus particulièrement, à apprécier
la nature du risque de persécution auquel sera confronté le requérant
s'il est renvoyé dans son pays d'origine. Contrairement à la
situation d'un tribunal des droits de la personne, le lien entre l'expertise et
la disposition en cause ici est faible. Seulement dix pour cent des membres de
la Commission sont obligatoirement des avocats (par. 61(2)) et il n'est pas nécessaire
que chaque formation comprenne un avocat. Bien que cela puisse ne pas nuire
à l'appréciation du risque de persécution centre la
personne d'un requérant s'il est renvoyé dans son pays de
nationalité, cela rend impensable que l'on confie exclusivement à
la Commission la définition générale d'une garantie
fondamentale en matière de droits de la personne. Et rien n'indique que
l'expérience acquise par la Commission en matière de détermination
factuelle du risque de persécution lui donne quelque connaissance supplémentaire
du sens ou de l'évolution souhaitable de la disposition en cause ici.
Contrairement à de nombreuses affaires mettant en cause des décisions
rendues par des tribunaux des droits de la personne, dans la présente
affaire, le principe de droit n'est pas «impréegne» de faits,
comme le démontre la facilité avec laquelle la cour appelée
à exercer le contrôle judiciaire a pu extraire une question de portée
générale pour l'application du par. 83(1). En l'espèce, le
principe de droit peut aisément être séparé des faits
non contestés de l'affaire et aurait sans aucun doute une grande valeur
comme précédent. Il vaut la peine de répéter que, au
moyen de cette décision, le tribunal cherche en fait à
restreindre l'application de sa propre expertise, plutôt qu'a l'exercer.
L'expertise factuelle dont jouit ce tribunal administratif ne lui est d'aucun
secours pour 1'interprétation de ce principe de droit général.
48
On ne pout affirmer non plus que la Commission accomplit une fonction de
«gestion» ou de «surveillance» comme la Cour l'a dit
dans les arrêts
Southam et
National Corn Growers. La
Commission elle-même n'est pas responsable de l'élaboration des
politiques. L'objectif de la Convention -- et en particulier celui des
exclusions
énoncées à la section F
c) de l'article premier --
n'est, de toute évidence, pas la gestion des flux de personnes, mais bien
l'instauration d'un régime de protection minimale des droits de la
personne. Le contexte dans lequel la fonction juridictionnelle est exercée
n'est pas «polycentrique» ; il ne s'agit pas de concilier les intérêts
de différents groupes, mais plutôt de donner effet à un
ensemble de droits de la personne assez statiques et d'assurer la protection des
personnes qui appartiennent aux catégories définies.
49
Il faut ajouter à ces indications quant à l'intention du législateur
touchant l'élaboration de principes de droit généraux
l'absence d'une clause privative stricte. En effet, il ressort nettement du
rapprochement de la clause privative dans sa formulation actuelle et du par.
83(1), que la première est annulée pour ce qui est des questions
de «portée générale». Comme cela a déjà
été souligné, l'analyse «pragmatique et fonctionnelle»
permet des normes de retenue distinctes même entre les dispositions d'une
même loi et même entre les types de décisions prises par le
tribunal en cause. En l'espèce, le libellé de la clause privative
va de pair avec le quatrième facteur de l'analyse pragmatique et
fonctionnelle, a savoir que les décisions sur des principes abstraits
d'application générale représentent un facteur militant
centre la retenue judiciaire.
50
Je conclus que la norme de la décision correcte s'applique aux décisions
rendues sur des points de droit par la Commission. La décision
Sivasamboo
comportait une analyse de nature bien différente et je tiens à
souligner que je ne me prononce pas sur le caractère correct de cette décision,
qui reposait sur les faits propres de l'espèce.
B. Principes d'interprétation des traites: détermination de
l'objet de la section Fc) de l'article premier
51
Quoique certains organismes non gouvernementaux aient préconise que
l'application de l'exclusion prévue par la section F
c) de
l'article premier de la Convention soit déterminée par le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il a finalement
été décidé qu'il incomberait a chaque État
contractant de déterminer quels démandeurs du statut de réfugié
étaient visés par la clause d'exclusion (J. C. Hathaway,
The
Law of Refugée Status (1991), a la p. 245). Comme l'objet de la Loi
incorporant la section F
c) de l'article premier est de mettre en
oeuvre la Convention sous-jacente, la Cour doit adopter une interprétation
compatible avec les obligations du Canada en vertu de la Convention. On aura
done recours au texte de la Convention et aux règles d'interprétation
des traités pour déterminer le sens de la section F
c) de
l'article premier en droit interne (
Ward, precité, à la
p. 733).
52
Ces règles sont énoncées succinctement dans la
Convention
de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 n
o 37
(«Convention de Vienne»):
ARTICLE 31
Règle générale d'interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi
suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans
leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte
comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus:
a)
tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes
les parties à l'occasion de la conclusion du traité;
b)
tout instrument établi par une ou plusieurs parties à
l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres
parties en tant qu' instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte:
a)
de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de
l'interprétation du traité ou de l'application de ses
dispositions;
b)
de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité
par laquelle est établi l'accord des parties a l'égard de
l'interprétation du traité;
c)
de toute règle pertinente de droit international applicable dans les
relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que
telle était l'intention des parties.
ARTICLE 32
Moyens complémentaires d'interprétation
Il peut être fait appel a des moyens complémentaires d'interprétation,
et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans
lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de
confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer
le sens lorsque l'interprétation donnée conformément
à l'article 31:
a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou
b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.
53
Ces règles ont été appliquées par notre Cour
dans deux arrêts récents, l'un portant sur l'incorporation directe
des dispositions d'un traité (
Thomson c. Thomson
[1994] 3 R.C.S. 551
) et l'autre, sur un article de la
Loi sur l'immigration conçu
pour mettre à exécution les obligations du Canada en vertu de la
Convention (
Ward, précité). Dans celui-ci, le juge La
Forest a utilisé divers moyens d'interprétation: l'historique de
la rédaction et les travaux préparatoires en ce qui concerne la
disposition en cause; le
Guide des procédures et critères
à appliquer pour déterminer le statut de réfugié
du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés («Guide
du HCNUR»); les commentaires antérieurs de la jurisprudence
relatifs au but et à l'objet du traité. En effet, à la p.
713, le juge La Forest s'est montré disposé à tenir compte
des propositions des divers délégués exposées dans
les travaux préparatoires, encore qu'il ait reconnu que, selon leur
teneur et leur contexte, ces textes «ne permet[tent] peut-être pas
vraiment» de privilégier l'une ou l'autre interprétation.
54
Bien que ces règles d'interprétation aient été
acceptées de façon générale par les juridictions inférieures
et par les parties, un désaccord important subsiste au sujet du sens précis
de ces règles dans le contexte de la section F
c) de l'article
premier de la Convention telle qu'incorporée par le par. 2(1) de la Loi.
Pour déterminer le poids relatif à accorder aux diverses sources
concernant l'interprétation admises en application de la Convention de
Vienne, le juge Strayer a décidé que les mots «buts et
principes des Nations Unies» étaient assez clairs. Il a également
émis l'avis que les travaux préparatoires
étaient confus, ambigus et non représentatifs, et donc «tout
à fait inutiles». Quant au Guide du HCNUR, tenu pour être une
source valable sous le régime de la section 3
b) de l'article 31
de la Convention de Vienne, il a juge qu'il était «loin d'être
catégorique» sur la question du sens de la section F
c) de
l'article premier. Finalement, l'affirmation voulant que l'objet de la
Convention en fasse un «instrument de défense des «droits de
l'homme» ne jouait pas en faveur du requérant. En effet, le juge
Strayer a refusé tacitement de considérer que cet objet pouvait
aider à interpréter la clause en faisant siens les propos du juge
d'appel Robertson dans l'arrêt
Moreno c. Canada (Minister of
Employment & Immigration)
[1994] 1 C.F. 298
Appel
, à la p.
307:
Quelque convaincants que puissent être les commentaires, je
suis tenu de considérer l'application de la disposition d'exclusion en
tenant compte, tout d'abord, de la jurisprudence de cette Cour, puis
de l'intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsque, par centre,
il existe une ambiguïté ou une question non résolue,
l'interprétation la plus conforme à la justice et à la
raison doit prévaloir.
55
À mon avis, la Cour d'appel fédérale a commis une
erreur en rejetant les objets et les buts du traité, et en n'accordant
presque aucun poids aux indications fournies par les travaux préparatoires.
Comme nous le verrons plus loin, l'historique de la section F
c) de
l'article premier révèle que les signataires de la Convention
voulaient que les mots «principes et buts des Nations Unies» soient
entendus dans un sens particulier. Dans
Ward, le juge La Forest a
minutieusement utilisé chacune de ces aides explicatives pour comprendre
les objets et les buts de la Convention dans son ensemble et les dispositions
particulières en cause. Le langage très général
employé
à la section F
c) de l'article premier n'est pas clair au point
d'interdire tout examen des autres indications quant au sens à donner
à cette disposition. L'examen de l'objet et du contexte du traité
dans son ensemble, ainsi que de l'objet de la disposition en cause tel qu'il
ressort des travaux préparatoires, peut nous guider utilement dans notre
interprétation.
56
Le point de départ de toute interprétation consiste, tout
d'abord, à définir l'objet de la Convention dans son ensemble, et
ensuite, à déterminer l'objet et la place de la section F
c)
de l'article premier au sein du régime que la Convention établit.
Dans
Ward, le juge La Forest a exprimé au nom de la Cour
unanime l'opinion suivante, à la p. 709:
Le droit international relatif aux réfugiés a été
établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend
à ce que l'État fournisse à ses ressortissants. Il ne
devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même
alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait
que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à
leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la
responsabilité d'autres États ne soit engagée. C'est
pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de
[TRADUCTION] «protection auxiliaire ou supplétive» fournie
uniquement en l'absence de protection nationale; voir
The Law of Refugee
Status (199l), à la p. 135.
Procédant à
l'analyse textuelle de la Convention et prenant en considération les vues
des commentateurs, le juge La Forest définit, à la p. 733, l'objet
de la Convention par rapport à la question expresse de la définition
du mot «réfugiée», qui est aussi précisément
la question visée par le présent pourvoi:
La Convention repose sur l'engagement qu'a pris la communauté
internationale de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la
personne. C'est ce qu'indique le préambule du traité:
CONSIDÉRANT que la Charte des Nations Unies et la Déclaration
universelle des droits de l'homme approuvée le 10 décembre 1948
par l'Assemblée générale ont affirmé ce principe que
les êtres humains, sans distinction, doivent jouir des droits de l'homme
et des libertés fondamentales.
Ce thème donne un aperçu
des limites des objectifs que les délégués cherchaient
à atteindre et dont ils avaient convenu. Il énonce, d'une façon
générale, l'intention des rédacteurs et fixe de ce fait une
limite inhérente aux cas visés par la Convention. Hathaway,
op.
cit., à la p. 108, explique ainsi l'incidence de ce ton général
du traité sur le droit relatif aux réfugiés:
[TRADUCTION] Toutefois, le point de vue dominant est que le droit
relatif aux réfugiés devrait s'appliquer aux actions qui nient
d'une manière fondamentale la dignité humaine, et que la négation
soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne est la
norme appropriée.
Ce thème fixe les limites de bien
des éléments de la définition de l'expression «réfugié
au sens de la Convention».
57
Le caractére de la Convention en tant qu'instrument de défense
des droits de la personne est en outre étayé par l'article de la
Loi définissant les «objectifs»:
3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les
règles et règlements pris en vertu de la présente loi
visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre à promouvoir les intérêts
du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité:
[...]
g) de remplir, envers les réfugiés,
les obligations imposées au Canada par le droit international
et
de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays
à l'endroit des personnes déplacées ou persécutées;
[Je
souligne]
Ces objets et ces buts généraux,
nettement en rapport avec les droits de la personne, constituent le contexte
dans lequel doit s'inscrire l'interprétation a donner aux diverses
dispositions.
58
L'objet de l'article premier est de définir le terme «refugié».
Puis, la section F de l'article premier établit les catégories de
personnes expressément exclues de la définition. L'objet de
l'article 33 de la Convention, par contraste, n'est pas d'établir qui a
la qualité de réfugié, mais bien de permettre le
refoulement d'un réfugié authentique vers son pays natal s'il
constitue un danger pour le pays d'accueil ou pour la communauté dudit
pays. Cette distinction fonctionnelle est reflétéé dans la
Loi, laquelle, d'une part, intègre la section F de l'article premier a
l'art. 2, l'article définitoire, et d'autre part, confère au
ministre,
à l'art. 53, ou sont reprises généralement les dispositions
de l'article 33, le pouvoir d'expulser un réfugié admis comme tel.
Par conséquent, l'objet général de la section F de
l'article premier n'est pas de protéger le pays d'accueil contre les réfugiés
dangereux, que ce soit en raison d'actes commis avant ou après la présentation
de la revendication du statut de réfugié; c'est l'article 33 qui
vise cet objectif. Il est plutôt d'exclure
ab initio ceux qui ne
sont pas des réfugiés authentiques au moment de la présentation
de leur revendication. Bien que tous les actes visés à la section
F de l'article premier puissent vraisemblablement être assimilés
aux motifs de refoulement visés à l'art. 33, ce sont des
dispositions distinctes. Il faut également appliquer ce raisonnement
lorsqu'il s'agit de décider si les actes visés à la section
F
c) de l'article premier doivent être des actes commis en dehors
du pays d'accueil, comme le soutient l'appelant. À mon avis, les
dispositions concernant le refoulement ne peuvent pas être invoquées
pour introduire une telle limitation dans la section F
c) de l'article
premier. Là où des limitations géographiques étaient
nécessaires, la Convention les a prévues, comme en fait foi la
section F
c) de l'article premier. Le critère pertinent en
l'occurrence est le moment où le statut de réfugié a
été reconnu. Autrement dit, la section F
c) de l'article
premier se rapportant à la reconnaissance du statut de réfugié,
tout acte accompli avant qu'une personne ait obtenu ce statut doit être
tenu pour pertinent au regard de la section F
c) de l'article premier.
59
Les travaux préparatoires et le sens attribué aux termes
employés à l'époque de ces travaux peuvent servir à
préciser l'objet de la section F
c) de l'article premier par
opposition aux sections F
a) et F
b) de l'article premier. La
section F de l'article premier, dans sa version antérieure, était
ainsi conçu:
Article I
Definition du terme «Réfugié»
D.-- Aucun des Etats contractants ne fera bénéficier des
dispositions de la présente Convention une personne qu'il considère
avoir commis un crime défini dans l'article VI du Statut du Tribunal
militaire international approuvé à Londres,
ou tout autre
acte contraire aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies
(Doc. UN E/L.82). [Je souligne]
L'insertion des mots soulignés, qui out fini par
être intégrés au texte de la section F
c) de
l'article premier, a suscité de longs débats au sein du Comité
social du Conseil économique et social où a été négociée
la Convention. Les délégués canadien, chilien et
pakistanais ont tous exprimé leur inquiétude à propos du
caractère vague et de la portée peut-être excessive de la
clause d'exclusion qui risquaient de miner l'objectif principal de la Convention
et de donner aux États un moyen de refuser facilement des personnes méritant
d'être protégées. Le délégué de la
France a répondu que la disposition visait [TRADUCTION] «certaines
personnes qui, bien que ne s'étant pas rendues coupables de crimes de
guerre, ont pu commettre des actes de gravité comparable, contraires aux
principes des Nations Unies, autrement dit des crimes centre l'humanité»
(Doc. NU E/AC.7/SR.166, 22 août, 1950, à la p. 4). Sa préoccupation
était que les actes criminalisés par le
Statut du Tribunal
militaire international, 82 R.T.N.U. 281, approuvé à Londres,
ne seraient constatés que dans les cas où une guerre avait eu
lieu. Toutes sortes d'atrocités pourraient ainsi être commises sans
violation du Statut de Londres simplement à cause de l'absence de conflit
militaire interétatique. La seule mention du Statut de Londres n'aurait
donc pas pour effet d'inclure:
[les] tyrans qui auront [...] commis des actes contraires aux buts
et principes de la Charte et contribué ainsi à créer cette
crainte devant laquelle fuient les réfugiés. Le fait de devenir
suspects à leurs propres chefs et de subir cette crainte qu'ils ont fait
régner [ne] leur vaudra [...] certainement pas le bénéfice
automatique de la protection internationale pour les réfugiés.
(E/AC.7
SR.166, précité, à la p. 6).
60
Quoiqu'une telle proposition soit loin de faire autorité pour ce qui
est de déterminer l'objet de la section F
c) de l'article
premier actuel, elle m'autorise à faire deux remarques. Premièrement,
en plus des crimes centre la paix et des crimes de guerre, le Statut de Londres
visait les «crimes contre l'humanité» tels [TRADUCTlON]
«l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation
et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles,
avant
ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs
politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions
ont été commis
pour perpétrer tout crime relevant de
la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime» (cité
dans H.M. Kindred et autres,
International Law Chiefly as Interpreted and
Applied in Canada (1993), à la p. 447, (je souligne). Selon le
Statut de Londres, le crime contre l'humanité était donc lié
au châtiment des crimes de guerre et des crimes commis en temps de paix.
Bien que dans sa version définitive, la section F
a) de
l'article premier énumère les crimes contenus dans le Statut de
Londres, dont «un crime contre l'humanité, au sens des instruments
internationaux élaborés pour prévoir des dispositions
relatives à ces crimes», le délégué français
s'est clairement dit inquiet et il a persuadé les autres délégations
de ce que les crimes contre l'humanité visés par le Statut
de Londres étaient limités à ceux relatifs à l'état
de guerre. Bien qu'il ait été initialement l'un des opposants qui
jugeaient la disposition dangereusement vague, le délégué
canadien a fini par convenir que les personnes tombant sous le coup de la
section F
c) de l'article premier et non visées par ailleurs par
le Statut de Londres étaient les «personnes qui auraient abusé
de leur autorité pour commettre des crimes contre l'humanité,
autre que des
crimes de guerre» (E/AC.7/SR.166, précité,
à la p.10 (je souligne)). Bref, les délégués qui se
sont ravisés à la suite de l'intervention du délégué
français croyaient que la clause à l'étude concernait les
crimes contre l'humanité non liés à la guerre et qu'il
s'agissait d'un concept distinct justifiant une clause séparée, même
si les actes visés par cette catégorie ne pouvaient pas être
clairement énumérés à ce moment-là.
61
Il faut également remarquer que le principe de l'exclusion en raison
d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies se trouvait
à l'état embryonnaire dans la Constitution de l'Organisation
internationale pour les réfugiés qui tendait aussi à
exclure [TRADUCTION] «ceux qui, depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, avaient fait partie d'une organisation cherchant à renverser
par la force armée le gouvernement d'un État membre des
Nations Unies, ou avaient fait partie d'une organisation terroriste; ou qui
étaient à la tête de mouvements hostiles à leur
gouvernement ou qui dirigeaient des mouvements encourageant les réfugiés
à ne pas retourner dans leur pays d'origine» (G. S. Goodwin-Gill,
The Refugee in International Law (2
e éd. 1996),
à la p. 108). Cela concorde avec la position du délégué
britannique qui a dit que les agissements contraires aux buts et aux principes
des Nations Unies englobaient la subversion et le renversement des régimes
démocratiques. D'autres participants ont cependant contesté cette
interprétation, parce qu'ils estimaient qu'elle allait à
l'encontre du droit à l'autodétermination (Hathaway,
op. cit.,
à la p. 228). La confusion explique probablement pourquoi le Guide du
HCNUR indique, aux par, 162 et 163, que la section F
c) de l'article
premier n'introduit «concrétement aucun élément
nouveau».
62
Bien entendu, les buts et principes des Nations Unies sont énoncés
dans le préambule et dans les articles premier et 2 de la
Charte des
Nations Unies, R.T. Can. 1945 n° 7. Mais l'énoncé qu'on y
trouve est principalement d'ordre organisationnel; sa teneur générale
autorise en outre une interprétation dynamique des obligations des
États, qui doivent s'adapter au contexte international changeant. Les
principes énoncés dans la
Charte des Nations Unies sont
en fait souvent expliqués dans d'autres instruments internationaux et
dans les décisions de la Cour internationale de Justice, de même
que dans la jurisprudence des pays signataires. Hathaway,
op. cit.,
à la p. 227, conclut que les interprétations multiples de la
section F
c) de l'article premier [TRADUCTION] «reflètent
Vhistorique conibs de sa rédaction». Il s'agit d'une clause supplétive
qui, d'après le Guide du HCNUR, «en raison de son caractère
très général, ne doit être appliquée qu'avec
circonspection» (par. 163). À lire les travaux préparatoires,
on se laisse facilement convaincre que les délégués aux réunions
du Comité social entendaient donner aux mots «principes
et buts des Nations Unies» un sens plus étroit et plus précis
que celui que permettrait naturellement d'inférer la
Charte des
Nations Unies. Les travaux du sous-comité de rédaction et les
résolutions de divers organismes qui en out résulté témoignent
d'un effort pour dégager un consensus sur la signification particulière
à donner aux termes utilisés à la section F
c) de
l'article premier.
63
Ce qui est crucial, à mon sens, c'est la manière dont la
logique qui sous-tend l'exclusion prévue à la section F de
l'article premier en général, et à la section F
c)
de l'article premier en particulier, se rattache à l'objet de la
Convention dans son ensemble. La raison d'être de la clause est que ceux
qui sont responsables d'une persécution qui crée des réfugiés
ne doivent pas pouvoir invoquer à leur profit une Convention conçue
pour protéger ces réfugiés. Comme l'a dit le juge La Forest
dans l'arrêt
Ward, précité, à la p. 733, ce
thème, à savoir des «actions qui nient d'une manière
fondamentale la dignité humaine» et «la négation
soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne [...] fixe
les limites de bien des éléments de la définition de
l'expression réfugié au sens de la Convention».
Dans
Sivakumar c. Canada (Minister of Employment & Immigration)
1993
[1994] 1 C.F. 433
Appel
, la Cour d'appel fédérale a
explicitement reconnu cet objet dans le contexte des motifs énumérés
de façon précise à la section F
a) de l'article
premier, sous la plume dujuge Linden, à la p. 445: «Lorsque par un
juste retour des choses, les persécuteurs deviennent les persécutés,
ils ne pourront pas revendiquer le statut de réfugié. Les
criminels internationaux, de quelque côté qu'ils se trouvent dans
les conflits, sont ainsi privés à juste litre du statut de réfugié».
64
J'en viens maintenant à la seconde remarque suscitée par les déclarations
du délégué français précitées.
Étant donné les objectifs généraux de la Convention
tels qu'énoncés dans l'arrêt
Ward, précité,
et dans d'autres sources, ainsi que les indications
tirées des travaux préparatoires quant à la portée
relative des sections F
a) et F
c) de l'article premier,
l'objet de la section F
c) de l'article premier peut être ainsi
énoncé: exclure les personnes responsables de violations graves,
soutenues ou systémiques des droits fondamentaux de la personne qui
constituent une persécution dans un contexte qui n'est pas celui de la
guerre.
C. Quels agissements sont «contraires aux buts et aux principales des
Nations Unies»?
65
Il est beaucoup plus facile de déterminer la signification précise
de ces mots une fois qu'on a défini l'objet particulier que la section F
c)
de l'article premier était censé viser dans le cadre de la
structure et des objets de la Convention. Les parties dans le présent
pourvoi nous ont proposé divers contenus possibles très détaillés
pour cette clause. À mon avis, tenter de dresser une liste précise
ou exhaustive est contraire à l'objet de cette disposition et aux
intentions des parties à la Convention. Toutefois, divers types d'actes
tombent clairement sous le coup de cette clause. Le principe directeur est le
suivant: s'il y a consensus en droit international sur des agissements
particuliers qui sont tenus pour être des violations suffisamment graves
et soutenues des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution,
ou qui sont explicitement reconnus comme contraires aux buts et aux principes
des Nations Unies, la section F
c) de l'article premier est alors
applicable.
66
Plusieurs catégories d'agissements sont visées par ce
principe. Premièrement, lorsqu'un accord international généralement
accepté ou une résolution des Nations Unies déclare
explicitement que certains agissements sont contraires aux buts et aux principes
des Nations Unies, cela constitue une forte indication que ces agissements sont
visés par la section F
c) de l'article premier. La
Déclaration
sur la protection de toutes les personnes contre les
disparitions forcées. Rés. AG 47/133, 18 déc. 1992,
par. 1(1)), la
Déclaration sur la protection de toutes les personnes
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Rés. AG 3452 (XXX), 9 décembre 1975, art. 2, et la
Déclaration
complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant éliminer
le terrorisme international, Rés. AG 51/210, 16 janvier 1997,
Annexe, art. 2, désignent toutes des agissements qui sont contraires aux
buts et aux principes des Nations Unies. Lorsque de telles déclarations
ou résolutions représentent un consensus raisonnable de la
communauté internationale, il convient de considérer pareille désignation
comme décisive.
67
De même, d'autres sources du droit international peuvent influer sur
la décision du tribunal appelé à préciser si des
agissements sont visés par la section F
c) de l'article premier.
Par exemple, les décisions de la Cour internationale de justice peuvent
s'imposer. Dans l'affaire relative au
Personnel diplomatique et consulaire
des
États-Unis à Téhéran, C.I.J. Recueil 1980, p.
3, au par. 91, la Cour a statué:
Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres
humains et de les soumettre dans des conditions pénibles à une
contrainte physique est manifestement incompatible avec les principes de la
Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés
dans la déclaration universelle des droits de l'homme.
La
Cour internationale de justice a employé un langage encore plus énergique
dans l'avis consultatif concernant les
Conséquences juridiques pour
les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie
(
Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution 276 (
1970)
du Conseil de sécurité, C.I.J. Recueil 1971, p. 4, au
par. 131, déclarant que la politique d'
apartheid «constitu[e]
un déni des droits fondamentaux de la personne humaine, [et] est une
violation flagrante des buts et principes de la Charte».
68
Un autre aspect important de l'exclusion prévue à la section F
c)
de l'article premier est l'inférence voulant que les violateurs des
principes et des buts des Nations Unies doivent être des personnes exerçant
le pouvoir. Cette inférence se trouve énoncée dans le Guide
du HCNUR, aux par. 162 et 163 et c'est l'opinion exposée, en particulier,
par le délégué du Canada aux réunions du Comité
social en 1950 et 1951. Bien que nombre de commentateurs partagent ce point de
vue (Hathaway,
op. cit., à la p. 229; A. Grahl-Madsen,
The
Status of Refugees in International Law (1966), vol. 1, à la p. 286;
Kälin, Köfner et Nicholas, dans Goodwin-Gill,
op. cit.,
à la p. 110, renvoi 162), la jurisprudence des États signataires
ne va pas dans le même sens. Dans son traité,
ibid.,
à la p. 113, Goodwin-Gill signale que la décision
Téhéran
a servi à justifier l'exclusion, par les autorités de
l'immigration australiennes, d'un réfugié en application de la
section F
c) de l'article premier, ce qui indique qu'il se pourrait que
des violateurs autres que des représentants de l'État soient
exclus aux termes de cette clause. Il contraste cette position avec celle prise
par la France et l'Allemagne qui semblent exiger que les agissements soient revêtus
de l'autorité de l'État. Quoiqu'il soit plus difficile pour qui
n'agit pas au nom de l'État de perpétrer des violations des droits
de la personne à une échelle suffisante pour constituer une persécution
sans la complaisance implicite de l'État, il ne faut pas écarter
cette possibilité
a priori. Je le répète, la Cour
doit aussi tenir compte du fait que certains crimes expressément déclarés
contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ne sont pas limités
aux personnes qui agissent au nom de l'État.
69
La présente espèce porte sur le trafic des drogues. Rien
n'indique qu'en droit international, ce trafic à quelque échelle
que ce soit doive être considéré comme contraire aux buts et
aux principes des Nations Unies. L'intimé a présenté des
éléments de preuve établissant que la communauté
internationale avait mis en train un effort coordonné pour arrêter
le trafic des drogues illicites par l'entremise de nombreux traités, déclarations
et institutions des Nations Unies. Il n'a toutefois pas pu citer de déclaration
explicite énonçant que le trafic des drogues était
contraire aux buts et aux principes des Nations Unies ou que pareils agissements
devraient être pris en compte au moment de décider d'accorder
l'asile à un réfugié. Par une telle déclaration
explicite, la communauté internationale ferait savoir qu'elle estime que
de tels agissements doivent être tenus pour équivalents à
des violations graves, soutenues et systémiques des droits fondamentaux
de la personne constituant une persécution.
70
La deuxième catégorie d'agissements visés par la
section F
c) de l'article premier comprend ceux qu'un tribunal peut
lui-même reconnaître comme des violations graves, soutenues et systémiques
des droits fondamentaux de la personne constituant une persécution. Cette
analyse comporte un élément factuel et un
élément juridique. Le tribunal doit déterminer la nature de
la règle qui a été violée. Si cette règle est
assimilable aux principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la
personne et que sa transgression soit reconnue comme immédiatement
sujette à la réprobation et au châtiment de la communauté
internationale, alors même une violation isolée peut entraîner
une exclusion fondée sur la section F
c) de l'article premier.
Le fait que la violation soit considérée comme une infraction
justiciable des tribunaux dans tous les États serait une indication
persuasive que même une violation isolée constitue une persécution.
À cet égard, si la communauté internationale devait adopter
l'avant-projet de statut d'une cour internationale de justice pénale,
Doc. NU A/CN.4/L.491/Rev.2, qui, dans sa version actuelle, attribue à ce
tribunal une compétence sur le trafic de stupéfiants, en plus des
crimes de guerre, de la torture et du génocide, il y aurait alors
beaucoup plus de chances qu'un tribunal puisse conclure à une
violation grave des droits de la personne en raison de ces activités.
71
Une violation grave et soutenue des droits de la personne constituant une
persécution peut se dégager en outre d'une situation de fait
particulièrement flagrante, y compris de l'importance de la complicité
du requérant. L'appréciation des circonstances de fait d'une
violation des droits de la personne et de la nature du droit violé
permettrait au tribunal national, par exemple, de décider lui-même
que les failts de la prise d'otages à Téhéran justifient
l'exclusion fondée sur la section F
c) de l'article premier.
72
Dans le présent pourvoi, rien n'indique que le trafic des drogues se
rapproche du coeur ni même du corpus des droits fondamentaux de la
personne. L'intimé a soumis à la Cour une nouvelle catégorie
d'infractions internationales appelée par M. C. Bassiouni, [TRADUCTION]
«crimes d'intérêt international» (
International
Criminal Law, v. 1,
Crimes (1986), aux pp. 135 à 163). Ces
«crimes» présentent certaines caractéristiques
indiquant que la communauté internationale considère bel et bien
leur perpétration comme particulièrement grave et sujette à
sanction immédiate; toutefois, la barre semble avoir été
placée trop bas, la définition incluant certains types
d'infractions telles le «sabotage de câbles sous-marins, des
infractions en matière de «protection de l'environnement»,
ainsi que le trafic des drogues et huit autres catégories.
73
Il est nécessaire de prendre aussi en considération le
chevauchement possible des sections F
c) et F
b) de l'article
premier en ce qui concerne le trafic des drogues. De toute évidence, la
section F
b) est généralement censée empêcher
que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité
puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette
exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l'entrée dans
le pays d'accueil. Goodwin-Gill,
op. cit., à la p. 107, dit
ceci:
[TRADUCTION] En vue de favoriser l'uniformité des décisions,
le HCNUR a proposé que, lorsqu'aucun facteur politique ne joue, une présomption
de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de
l'une ou l'autre des infractions suivantes: l'homicide, l'agression sexuelle,
l'attentat à la pudeur d'un enfant, les coups et blessures, le crime
d'incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié.
Les
parties ont voulu s'assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se
soustraire à l'extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié.
Vu la portée bien définie de la section F
b) de l'article
premier, celle-ci étant limitée aux «crimes graves de droit
commun» commis en dehors du pays d'accueil, on doit inévitablement
en inférer que les crimes graves de droit commun ne sont pas visés
par le libellé général et catégorique de la section
F
c) de l'article premier. La section F
b) de l'article
premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d'accueil,
alors que le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés
dans le pays d'accueil. La section F
b) de l'article premier renferme
un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que
soient remplies les conditions exprimées par les termes «grave»
et «de droit commun», tandis que le par. 33(2), mis en oeuvre par
les art. 53 et 19 de la Loi, oblige à peser la gravité du danger
pour la société canadienne par rapport au danger de persécution
en cas de refoulement. Cette approche reflèté l'intention des
États signataires de réaliser un équilibre des considérations
humanitaires entre, d'une part, la personne qui craint la persécution et,
d'autre part, l'intérêt légitime des États dans la répression
de la criminalité. L'existence de la section F
b) de l'article
premier semble indiquer que même un crime grave de droit commun tel le
trafic des drogues ne doit pas être inclus à la section F
c)
de l'article premier. Cette affirmation est conforme aux avis
émis par les délégués tels qu'ils
ressortent des
Collected Travaux Préparatoires of the 1951 Geneva
Convention relating to the Status of Refugee, vol. III, 86, à la p.
89.
74
Il n'y a aucun lien ratioimel entre les objectifs de la Convention et les
objectifs de la limitation prévue à la section F
c) de
l'article premier que propose l'intimé. Tant que la communauté
internationale n'aura pas dit clairement qu'elle estime que le trafic des
drogues, sous une forme ou une autre, est une violation grave des droits
fondamentaux de la personne constituant une persécution, rien ne justifie
qu'il soit considéré comme un motif d'exclusion. Le lien entre la
persécution et le problème international des réfugiés
est ce qui justifie les définitions portant exclusion énoncées
aux sections F
a) et F
c) de l'article premier. Les
agissements qui ne constituent pas une persécution peuvent fort bien
justifier le refoulement en application de l'art. 33, et la Loi prévoit
une procédure pour déterminer s'il y a lieu d'appliquer cette
disposition. Le refus
a priori d'accorder les protections
fondamentales d'un traité dont l'objet est la protection des droits de la
personne est une exception radicale aux objets de la Convention tels que définis
dans l'arrêt
Ward, précité, et ne peut être
justifié que lorsque l'exclusion favorise la protection de ces droits.
VI. Dispositif
75
Même si le trafic international des drogues constitue un problème
extrêmement grave que les Nations Unies ont tenté de résoudre
en prenant des mesures extraordinaires, en l'absence d'indications claires que
ce trafic est considéré par la communauté internationale
comme une violation suffisamment grave et soutenue des droits fondamentaux de la
personne pour constituer une persécution, soit parce qu'il a été
désigné expressément comme un acte contraire aux buts et
aux principes des Nations Unies (la première catégorie)
ou parce qu'il est visé par des instruments internationaux précisant
par ailleurs que ce trafic est une violation grave des droits fondamentaux de la
personne (la seconde catégorie), des personnes ne doivent pas être
privées du bénéfice des protections essentielles contenues
dans la Convention pour avoir commis de tels actes. L'article 33 et les
dispositions de la Loi qui lui font pendant prévoient l'expulsion des
personnes qui constituent un danger pour la société canadienne, et
les motifs justifiant cette mesure ont une portée plus large et sont
formulés plus clairement. À l'évidence, ma décision
quant à la portée de la section F
c) de l'article premier
de la convention, incorporé au droit national par le par. 2(1) de la Loi,
n'empêche donc pas le ministre de prendre les mesures qui s'imposent pour
assurer la sécurité des Canadiens.
76
Á mon avis, le complot en vue de faire le trafic d'un stupéfiant
commis par l'appelant n'est pas une violation visée par la section F
c)
de l'article premier.
77
Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de renvoyer le tout à la
Section du statut de réfugié pour examen sous le régime de
l'article 33 de la Convention et des art. 19 et 53 de la Loi, si l'intimé
choisit d'aller plus loin.
Bastarache, J.L'Heureux-DubéGonthierMcLachlin, JJ.
Lorne Waldman et Jaswinder Singh Gill, pour l'appelant.
Urszula Kaczmarczyk et Bonnie Boucher, pour l'intimé.
David Matas et Sharryn Aiken, pour l'intervenant.
Cory, J. (dissident) (Major, J.
souscrivant):–
78
M. Pushpanathan faisait partie d'un groupe de personnes reconnues coupables
du trafic d'une quantité d'héroïne évaluée sur
le marché à dix millions de dollars. Il s'agissait manifestement
d'un trafic pratiqué sur une vaste échelle. Il s'est vu infliger
une peine d'emprisonnement de huit ans qui tenait compte de son rôle de
meneur.
79
Selon les Nations Unies, l'héroïne est la plus dangereuse des
drogues illicites. Son trafic constitue à n'en pas douter un crime
abject. Il sera établi ici que la consommation d'héroïne mène
presque inexorablement à la criminalité en raison de la dépendance
qui en résulte. Les profits susceptibles d'être réalisés
sont si élevés que le trafic mène souvent à
l'activité criminelle et au recyclage de l'argent et peut entraîner
la corruption de fonctionnaires des douanes, de policiers et d'officiers de
justice. Les conséquences de ce crime sont si graves que le tissu social
en est altéré.
80
Manifestement, M. Pushpanathan a été déclaré
coupable d'un crime très grave aux répercussions dévastatrices.
La gravité du crime ne saurait être aisément minimisée
et oubliée. Néanmoins, même le criminel le plus vil a des
droits et peut les exercer pleinement.
81
Il est nécessaire d'examiner les effets du trafic des stupéfiants
au Canada et dans le monde, mais avant toute chose, je souhaite exprimer mon
accord avec la conclusion du juge Bastarache selon laquelle la norme de contrôle
applicable est celle de la décision correcte.
I. Norme de contrôle
82
Pour l'application de la
Convention relative au statut des réfugiés,
R.T. Can. 1969 n° 6, la question de savoir ce qui constitue un agissement
contraire aux buts et aux principes des Nations Unies est une question de droit.
Bien qu'il faille faire preuve d'une certaine retenue à l'égard
des conclusions de fait de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié,
il n'en va pas de même à l'égard de ses conclusions de
droit. La Commission ne jouit pas d'une expertise particulière sur le
plan juridique. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si
la décision que la Commission a rendue relativement à la question
de droit était correcte.
II. Trafic des drogues illicites: Contexte
A. Incidence au Canada
(1) Conséquences de la consommation et du trafic des drogues
illicites au Canada
83
La consommation et le trafic des drogues illicites sont un grave problème
au Canada, et ceux qui se livrent au trafic des drogues dangereuses doivent
susciter des inquiétudes bien réelles chez tous les Canadiens. Les
données récentes indiquent une hausse tant de la consommation des
drogues illicites que de la perpétration d' infractions liées
à la drogue. Un rapport du Centre canadien de lutte centre l'alcoolisme
et les toxicomanies révèle qu'en 1994 la consommation des drogues
illicites a considérablement augmenté par rapport à 1993,
celle du cannabis passant de 4, 2 à 7, 4 pour cent, celle de la cocaïne
de 0, 3 à 0, 7 pour cent et celle du LSD, du speed ou de l'héroïne
de 0,3 à 1,1 pour cent (D. McKenzie et E. Single,
Profil canadien
1997; Les drogues licites et illicites, (1997)).
84
Le nombre d'affaires liées à la drogue signalées au
cours de chacune des demières années a augmenté. En 1993,
on a dénombré 56 811 affaires liées à la drogue
(Centre canadien de la statistique juridique,
Statistique de la criminalité
au Canada 1993, à la p. 52); en 1994, ce nombre est passé
à 60 594 (Centre canadien de la statistique juridique,
Statistique
de la criminalité au Canada 1994, à la p. 18). Les données
les plus récentes montrent que ce nombre s'est encore accru entre 1995 et
1996. En effet, on comptait 65 106 affaires liées à la drogue en
1996, soit une augmentation de 4, 4 pour cent par rapport à l'année
précédente (
Juristat, vol. 17, n° 8, 1997, p. 12).
À la fin de 1996, il y avait 2 899 délinquants incarcérés
dans des établissements fédéraux pour des
infractions liées à la drogue et ils représentaient 21, 3
pour cent de tous les délinquants sous responsabilité fédérale
(L. L. Motiuk et R. L. Belcourt, Direction de la recherche. Service
correctionnel du Canada,
Délinquants condamnés pour un
homicide, une infraction sexuelle, un vol qualifié ou une infraction liée
à la drogue dans le système correctionnel fédéral:
revue de fin d'année 1996 (1997), à la p. 15).
(2) Drogue et criminalité
85
Les infractions liées à la drogue comme la possession et le
trafic ne sont qu'un maillon de la chaîne reliant le commerce de la drogue
à la criminalité. On a établi l'existence d'un lien entre
une consommation importante de drogues et le crime motivé par le besoin
de se procurer de l'argent pour satisfaire de coûteuses habitudes de
consommation (
Juristat, vol. 14, n° 6, 1994, p. 5). Selon une
étude canadienne, 40 pour cent des détenus sous responsabilité
fédérale consomment de la drogue, et la moitié d'entre eux
ont perpétré un acte criminel pour s'en procurer. Dans le cas des
détenues, le pourcentage est encore supérieur, 25 pour cent
d'entre elles ayant commis l'acte criminel qui leur est imputé à
la seule fin d'obtenir de la drogue (
Juristat, vol. 14,
loc. cit.,
à la p. 12).
86
En outre, il est reconnu que, dans le commerce illicite de la drogue, la
violence constitue un moyen de règlement des différends et une
mesure disciplinaire (
Juristat, vol. 14,
loc. cit., à
la p. 9). Les autorités policières estiment qu'en 1996, 56
homicides, soit un sur dix, étaient liés à la drogue; elles
précisent que ces données recoupent les moyennes d'autres années
(
Juristat, vol. 17, n° 9, 1997, à la p. 11).
87
Enfin, il est bien établi que la consommation de drogues licites et
illicites accroît la criminalité en général, et non
seulement le nombre d'infractions directement liées à la drogue.
À partir d'un échantillon, on a déterminé que dans
les établissements fédéraux, plus de la moitié des détenus
de sexe masculin étaient sous l'influence de l'alcool ou d'une autre
drogue lorsqu'ils ont commis au moins un de leurs crimes (
Juristat,
vol. 14,
loc. cit., à la p. 11). Soixante et onze pour cent de
ceux qui avaient consommé de la drogue ont affirmé qu'ils
n'auraient pas commis le crime s'ils n' avaient pas consommé de drogue (
Juristat,
vol. 14,
loc. cit., à la p. 12). Il n'est donc pas étonnant
que des études américaines révèlent que les
toxicomanes sont plus susceptibles d'être à nouveau arrêtés
que les non-toxicomanes (Bureau of Justice Statistics,
Drugs and Crime
Facts, 1994, à la p. 26). Selon les recherches, de 30 à 50
pour cent des personnes reconnues coupables d'une infraction liée
à la drogue récidivent (
Drugs and Crime Facts, 1994, p.
26; Centre canadien de la statistique juridique.
Étude sur la récidive
en fonction des antécédents criminels et des profits des
contrevenants (1993), a la p. 22).
88
Devant tous ces éléments de preuve, il est impossible de méconnaître
le mal que fait le trafic des drogues illicites à la société
canadienne sous forme d'activité criminelle, souvent empreinte de
violence. Malheureusement, il y a encore d'autres coûts liés au
trafic et à la consommation des drogues illicites qui reflètent
l'ampleur des dévastations causées par cette activité.
(3) Coût social et économique de la consommation de drogues
illicites
89
Le coût social de la toxicomanie et du trafic des drogues illicites
est important, voire consternant. Il englobe les coûts directs tels les
soins de santé et l'application de la loi, ainsi que les coûts
indirects engendrés par la perte de productivité.
90
Au Canada, le coût social total de la toxicomanie est évalué
à 18,45 milliards de dollars par année (Centre canadien de lutte
contre l'alcoolisme et les toxicomanies,
Les coûts de l'abus de
substances au Canada; Points saillants (1996), à la p. 2). De cette
somme, 1,4 milliard de dollars sont imputables aux drogues illicites (McKenzie
et Single). En 1992, 732 décès, 7 095 hospitalisations et 58 571
jours d'hospitalisation au Canada étaient attribuables aux drogues
illicites (McKenzie et Single). La mortalité imputable aux drogues
illicites est moindre que celle attribuable à la consommation d'alcool et
de tabac, mais les victimes sont généralement plus jeunes (
Les
coûts de l'abus des substances au Canada, op. cit., à la p.
6).
91
Ces conséquences importantes et souvent tragiques montrent que les méfaits
du trafic des drogues illicites suscitent à juste titre de graves inquiétudes
au Canada et dans le monde entier.
B. Incidence à l'échelle internationale
(1) Ampleur du problème
92
Il est difficile de chiffrer globalement la consommation des drogues
illicites vu l'absence d'un système international de collecte des
renseignements et la difficulté de comparer les données
nationales. Toutefois, il est clair que la consommation illicite de drogues dans
le monde a augmenté au cours des années 80 et 90, et on estime que
la tendance
à la hausse devrait se poursuivre (Commission des stupéfiants,
Conséquences économiques et sociales de l'abus et du trafic
illicite des drogues: Rapport intérimaire, Doc. NU E/CN.7/1995/3, 9
novembre 1994, à la p. 16). Le problème de la toxicomanie a
également pris de l'ampleur en termes de gravité et d'étendue.
On constate non seulement un accroissement du nombre absolu de toxicomanes, mais
également une augmentation de la consommation d'héroïne et
d'amphétamines ainsi que de drogues absorbées par voie
intraveineuse. L'héroïne, l'opium et la cocaïne sont de plus en
plus utilisés en injections, avec tous les risques sanitaires que
comporte cette pratique (Commission des stupéfiants,
Réduction
de la demande illicite de drogues: Stratégies de prévention, y
compris la participation communautaire -- Situation mondiale en matière
d'abus de drogues: Rapport du Sécrétariat, Doc. NU
E/CN.7/1995/5, 10 janvier 1995, aux pp. 3 et 4). Environ 20 pour cent des
personnes séropositives dans le monde s'injectent de la drogue (Programme
des Nations Unies pour le contrôle international des drogues,
World
Drug Report (1997), à la p. 91). Le fait qu'un nombre croissant de
jeunes consomment de la drogue est particulièrement troublant. Par
exemple, au Pakistan, la proportion de toxicomanes ayant commencé
à consommer de l'héroïne entre 15 et 20 ans a doublé
et atteint presque 24 pour cent; aux États-Unis, le nombre d'élèves
de 8
e année faisant usage de marijuana et de cocaïne
aurait doublé de 1991 à 1994 (
World Drug Report, op. cit.,
à la p. 86).
93
La production de drogues illicites a augmenté substantiellement au
cours des dix ou quinze dernières années. Les pays
traditionnellement associés à cette production sont également
devenus de grands consommateurs et participent désormais à
l'expansion mondiale du marché des drogues illicites (
Situation
mondiale en matière d'abus de drogues, op. cit.,
à la p. 3). On estime à plus de 300 tonnes la quantité d'héroïne
produite annuellement depuis le début des années 90 et, en 1996,
la récolte des feuilles de coca a permis de produire 1 000 tonnes de cocaïne
(
World Drug Report, op. cit., à la p. 18).
94
Selon les estimations les plus modérées, les ventes annuelles
de drogues illicites à l'échelle mondiale oscillent entre 400 et
500 milliards de dollars, ce qui représente environ un dixième de
l'ensemble du commerce international et sept à huit fois les sommes
consacrées chaque année à l'aide publique au développement
(
Conséquences économiques et sociales de l'abus et du trafic
illicite des drogues, op. cit., à la p. 9). Le commerce de la
drogue, en particulier celui de la cocaïne et de l'héroïne, est
de plus en plus organisé et il est dirigé par des groupes structurés
et, dans certains cas, par des cartels. Aux échelons les plus
élevés, le pouvoir est extrêmement centralisé (
World
Drug Report, op. cit., à la p. 123).
(2) Coûts économiques et sociaux de la consommation et du
trafic de drogues illicites
95
Les coûts économiques du trafic de la drogue et de la
toxicomanie sont encore plus élevés à l'étranger
qu'au Canada, Ils englobent les frais occasionnés par la répression
de la criminalité, la prévention et la réhabilitation,
ainsi que les frais de justice et de santé. Partout dans le monde, la
toxicomanie réduit la productivité (
Conséquences
économiques et sociales de l'abus et du trafic illicite des drogues, op.
cit., à la p. 23). Dans les pays producteurs de drogues, des emplois
sont créés, mais moins qu'on ne le croit généralement
(
ibid., p. 23). Les narcodollars sont souvent investis dans des
secteurs qui créent ou maintiennent des emplois improductifs (
ibid.,
p. 25).
96
Parmi les autres coûts économiques, mentionnons la hausse du
prix des denrées alimentaires et des prix fonciers imputable à la
culture de la drogue et à l'investissement des profits illicites dans
l'immobilier (
ibid., p. 29). Cette inflation accentue les difficultés
auxquelles se heurtent les collectivités locales. Par ailleurs, la
production et la consommation de drogues accroissent les écarts de
revenus dans la société. Vu la nature hiérarchique de
l'industrie des drogues illicites, les profits sont répartis parmi un
petit nombre de personnes. Au sommet, toute l'industrie est aux mains de
quelques individus (
ibid., p. 29).
97
À court terme, l'exportation de drogues semble bénéfique
à certains pays parce qu'elle leur permet d'obtenir des devises étrangères
dont ils out grand besoin, ces dernières représentant parfois
jusqu'à la moitié des exportations illicites totales. Malgré
ses effets bénéfiques à court terme sur l'économie
locale, l'exportation de la drogue est néfaste à long terme.
L'absence d'exportations de rechange crée une dépendance vis-à-vis
des drogues illicites et rend l'économie vulnérable (
ibid.,
pp. 30 et 31).
98
On estime que de 300 à 500 milliards de dollars provenant chaque année
du trafic des drogues illicites sont susceptibles d'être recyclés
à l'échelle internationale. Il s'agit de sommes faramineuses par
rapport au produit national brut de bon nombre de pays en développement (
ibid.,
p. 32). L'investissement et le recyclage des narcodollars créent
d'importants déséquilibres au sein des économies
nationales. Dans les États en transition qui privatisent rapidement des
biens publics, des difficultés se présentent lorsque ces biens
deviennent la cible de la finance criminelle. Partout dans le monde,
l'investissement de quantités considérables de narcodollars dans
l'économie rend la politique et la gestion macroéconomiques extrêmement
difficiles. Le trafic des drogues et la violence liée à la drogue
obligent l'État à augmenter le budget qu'il consacre à l'application de la loi aux dépens des autres besoins sociaux et mettent
en péril l'investissement étranger en créant de l'insécurité
(
ibid., pp. 33 et 34).
99
Les répercussions sociales de la consommation et du trafic des
drogues illicites sont aussi importantes. Il s'établit une interrelation
entre la toxicomanie et l'éclatement des familles et des collectivités
qui aboutit à la mine. La désintégration familiale
contribue à la toxicomanie et celle-ci, à son tour, met les
familles
à rude épreuve et tend à les rendre dysfonctionnelles (
ibid.,
p. 35). Dans les régions productrices, les collectivités sont
victimes d'intimidation et de brutalité de la part des organisations
criminelles et de la police ou de l'armée; les regroupements tribaux,
communautaires et coopératifs ruraux éclatent sous la pression des
trafiquants et des groupes terroristes associés aux trafiquants (Département
de l'information des Nations Unies,
Drug Trafficking and the World Economy
(1990); cité dans M.C. Bassiouni, «Critical Reflections on
International and National Control of Drugs» (1990), 18
Deny. J.
Int'l L. &
Pol'y 311, à la p. 327).
100
Les incidences négatives de la toxicomanie sur la santé,
notamment une mortalité accrue et une variété de problèmes
de santé liés à l'usage des drogues, représentent un
autre coût important pour la société (
Conséquences
économiques et sociales de l'abus et du trafic illicite des drogues, op.
cit., aux pp. 36 et 37). Le lien établi entre la toxicomanie, le
partage des seringues, la prostitution, le sida et d'autres maladies ajoute aux
risques pour la santé à l'échelle mondiale (
ibid.,
p. 37).
101
L'usage de la drogue a un effet préjudiciable sur l'éducation
et crée là aussi un cercle vicieux: il diminue le rendement
scolaire, et les problèmes qui en découlent, comme la
perte d'estime de soi imputable à l'absence de résultats scolaires
gratifiants, incitent à la consommation des stupéfiants (
ibid.,
p. 39).
102
Enfin, il semble de plus en plus que la culture et la transformation des
plantes cultivées en drogue (p. ex., l'emploi et le déversement de
produits chimiques dangereux), ainsi que les mesures prises pour faire échec
à ces activités (comme la pulvérisation d'herbicides afin
de détruire les cultures illicites) ont des effets très néfastes
sur l'environnement (
ibid., pp. 40 et 41).
(3) Liens avec l'activité criminelle et la corruption
103
La criminalité liée à la drogue constitue un problème
grave tant dans les pays producteurs que dans les pays consommateurs. La
toxicomanie fait progresser la criminalité, les toxicomanes commettant
des crimes centre les biens et s'adonnant à la prostitution pour se
procurer l'argent nécessaire à la satisfaction de leurs besoins en
drogue. Dans certaines régions, les conflits qui opposent les groupes de
trafiquants accroissent sensiblement l'incidence de la violence (
ibid.,
pp. 42 et 43).
104
Les conséquences de la consommation et du trafic des drogues
illicites sur la répression de la criminalité sont doubles. Premièrement,
il y a détoumement du temps, de l'énergie et des ressources qui
pourraient être consacrés à d'autres activités, Deuxièmement,
surtout dans les milieux bien organisés, il y a un risque de corruption
policière. La criminalité et les fonds liés au trafic de la
drogue ont aussi un effet corrupteur plus général sur les
gouvernements et la société civile. Dans certains pays, les fonds
tirés du commerce de la drogue minent sérieusement le processus démocratique
parce qu'ils permettent d'acheter protection, influence et votes. Il existe
aussi des risques évidents de corruption du système
judiciaire. En outre, la mise en circulation de quantités considérables
de fonds provenant d'activités illicites est susceptible de déstabiliser
les économies nationales, ce qui entraîne la vulnérabilité
et la dépendance du système politique (
ibid., p. 44).
(4) Mise en péril de la stabilité politique et économique
à l'échelle Internationale
105
Les liens établis entre le crime organisé, les groupes
terroristes, le trafic d'armes et le trafic des stupéfiants multiplient
les risques pour la sécurité dans chaque pays et au sein de la
communauté internationale. Selon le Programme des Nations Unies pour le
contrôle international des drogues, [TRADUCTION] «en situation de
conflit armé, les revenus provenant du trafic des drogues illicites -- ou
les drogues elles -- mêmes ù servent régulièrement
à l'achat d'armes» (
World Drug Report, op. cit., à
la p. 17). Dans certains pays, tel le Pérou, les trafiquants ont conclu
des alliances avec des groupes de guérilleros pour garantir leur
approvisionnement en matériel de transformation (
ibid., p.
128). La puissance financière et militaire de ces organisations menace la
stabilité politique et économique de nombreux pays et, en fait, de
la communauté internationale dans son ensemble.
106
Les effets combinés du commerce des drogues illicites amènent
un auteur à conclure que les profits tirés de ce commerce
[TRADUCTION] «contribuent plus à la corruption des systèmes
sociaux, à la détérioration des économies et
à l'affaiblissement des valeurs morales et éthiques que les effets
combinés de toutes les autres formes de criminalité. [...] L'étendue
de la corruption au sein des gouvernements, des milieux politiques et des
milieux d'affaires compromet en outre la stabilité des sociétés
et le fonctionnement des États et elle menace ultimement la
stabilité politique, voir l'ordre mondial» (Bassiouni,
loc.
cit., aux pp. 323 et 324).
C. Les Nations Unies et la lutte contre les drogues illicites
(1) Activité des Nations Unies dans le domaine du contrôle des
drogues
107
La profonde inquiétude de la communauté internationale au
sujet de l'usage et du trafic des drogues illicites est antérieure
à la création de l'Organisation des Nations Unies, et depuis l'établissement
de cet organisme, les activités de contrôle des drogues se sont
poursuivies. Au début du siècle, les répercussions du
trafic de l'opium ont suscité une coopération à l'échelle
internationale en vue d'y mettre un frein. La
Convention intemationale de
l'opium a été adoptée en 1912. Depuis, plus d'une
douzaine d'instruments multilatéraux, de nombreux accords bilatéraux
et d'innombrables autres documents ont été établis par la
communauté internationale, tout d'abord sous les auspices de la Société
des Nations Unies, puis sous l'égide des Nations Unies. Des mesures
visant à lutter contre le trafic de la drogue ont été
prises dès la fondation des Nations Unies.
108
L'activité récente des Nations Unies dans ce domaine dénote
une préoccupation croissante en ce qui a trait au trafic des drogues
illicites et aux maux qui y sont associés. Trois organes importants des
Nations Unies s'occupent du contrôle des drogues. La Commission des stupéfiants
(«CS»), établie par le Conseil
économique et social en 1946, est l'organe directeur des Nations Unies
pour les questions relatives aux drogues. Le Programme des Nations Unies pour le
contrôle international des drogues est l'organisme des Nations Unies
responsable des activités de coordination dans ce domaine.
L'Organe international de contrôle des stupéfiants, créé
en 1968, s'occupe de l'administration des traités se rapportant au contrôle
international des drogues, veille à leur mise en oeuvre et promeut leur
observation.
109
Avant 1980, les instruments internationaux les plus importants étaient
la
Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 30 mars 1961,
520 R.T.N.U. 205, modifiée par un protocole en 1972 (
Protocols
portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961,
25 mars 1972, 976 R.T.N.U. 3) et la
Convention sur les substances
psychotropes, 21 février 1971, 1019 R.T.N.U. 175. La
Convention
unique sur les stupéfiants de 1961 reprenait la plupart des traités
multilatéraux antérieurs relatifs aux drogues. La
Convention
unique sur les stupéfiants de 1961 et la
Convention sur les
substances psychotropes mettaient toutes deux l'accent sur l'offre et la
circulation des drogues et leur objectif était d'établir un réseau
de contrôles administratifs. Ces conventions visent plus de 116 stupéfiants
et I Il substances psychotropes. Le Canada est signataire des deux conventions (
Traités
multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général.
Nations Unies, New York (ST/LEG/SER.E), version disponible sur Internet le 4 décembre
1997 - http://www.un.org/Depts/Treaty).
110
Dès les années 80, cependant, il est devenu apparent que le
problème continuait de s'aggraver et que les mesures prises jusqu'alors
étaient inadéquates:
[TRADUCTION]...les cartels de la drogue devenant plus puissants et
leurs méthodes se raffinant de plus en plus, la nécessité
de nouvelles mesures internationales plus vigoureuses s'est imposée. Au
sein des Nations Unies, la Commission des stupéfiants est devenue
l'instrument privilégié pour formuler et adopter une démarche
à long terme plus globale face au problème de la drogue à
l'échelle internationale.
(D.P. Stewart, «
Internationalizing
The War on Drugs: The UN Convention Against Illicit Traffic in Narcotic Drugs
and Psychotropic Substances» (1990), 18
Denv. J. Int'l L.
&
Pol'y 387, à la p. 390.)
En 1981,
une stratégie internationale de lutte centre l'abus des drogues et un
programme d'action ont été adoptes (Rés. AG 36/168, 16 décembre
1981) pour s'attaquer tant à l'usage qu'au trafic des drogues. En 1984,
l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté
à l'unanimité une résolution demandant
à la CS d'entreprendre la rédaction d'une nouvelle convention
(Res. AG 39/141, 14 décembre 1984). La CS a commencé à
travailler à un projet de convention l'année suivante (Stewart,
loc. cit., p. 390) et, avec l'appui de l'Assemblée générale,
elle a poursuivi ses travaux au cours des années qui ont suivi (voirp.
ex.. Res. AG 40/120, 13 décembre 1985).
111
En 1987, à Vienne, des délégués de 138 Etats ont
participé à une Conférence internationale sur l'abus et le
trafic illicite des drogues (
United Nations International Conference on
Drug Abuse and Illicit Trafficking: Decisions of the Conference, 26 juin
1987, 26 I.L.M. 1637). Deux documents importants ont été adoptés
à cette conférence: la
Déclaration, 26 I.L.M.
1722, et le
Schema multidisciplinaire complet pour les activités
futures de lutte contre l'abus des drogues, 26 I.L.M, 1638. Le schéma
énonce des lignes directrices non obligatoiresà l'usage des
États et des organisations membres en vue d'une solution globale aux
problèmes de l'abus et du trafic des drogues (p. 1642). Il traite de la
prévention et de la réduction de la demande, du contrôle de
l'offre, de la suppression du trafic illicite, ainsi que du traitement et de la
réhabilitation. La déclaration fait état d'inquiétudes
au sujet des effets de la toxicomanie et elle appelle à l'adhésion
universelle à la
Convention unique sur les stupéfiants de
1961 et à la
Convention sur les substances psychotropes,
de même qu'a la rédaction finale et à l'adoption de la
nouvelle convention.
112
L'année suivante, la
Convention des Nations Unies contre le
trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Doc.
NU E/Conf.82/15, 19 décembre 1988 («
Convention
contre le trafic illicite»), en était aux étapes
finales de la négociation et de la rédaction. Une conférence
a eu lieu en vue de son adoption, et des représentants de 106 États
y ont participe (
Acte final de la Conférence des Nations Unies pour
l'adoption d'une convention contre le trafic illicite des stupéfiants et
des substances psychotropes, Doc. NU E/Conf 82/14, au par. 7). La
Convention
contre le trafic illicite a été adoptée le 19 décembre
1988, et 44 États, dont le Canada, y ont immédiatement apposé
leur signature (D.W. Sproule et P. St-Denis, «The UN Drug Trafficking
Convention: An Ambitious Step» dans
Canadian. Yearbook of
International Law 1989, 263, à la p. 263); elle est entrée en
vigueur en novembre 1990. En décembre 1997, quatre-vingt-huit États
étaient signataires de la
Convention contre le trafic illicite
(
Traités multilatéraux déposes auprès du Secrétaire
général. Organisation des Nations Unies, New York
(ST/LEG/SER.E), version disponible sur Internet le 4 décembre 1997 -
http://www.un.org/Depts/Treaty).
113
La
Convention contre le trafic illicite a été saluée
comme I' [TRADUCTION] «un des instruments les plus détaillés
et les plus ambitieux jamais adoptés dans le domaine du droit pénal
international» (Stewart,
loc. cit., à la p. 388). Son préambule
reconnaît que «
le trafic illicite est une activité
criminelle internationale dont I'élimination exige une attention urgente
et le rang de priorité le plus élevé» et que sa
suppression «
relève de la responsabilité de tous les
États» (je souligne). Elle renferme des dispositions concemant
l'établissement d'infractions criminelles liées au trafic et aux
activités connexes, l'exercice de la compétence, la saisie des
drogues, d'autres biens et des produits tirés de l'activité
illicite, l'extradition, l'entraide juridique et d'autres formes de coopération,
le contrôle des substances, du matériel et de l'équipement
utilisés pour fabriquer des drogues illicites, l'éradication des
cultures et diverses autres questions se rapportant a la lutte contre le trafic.
Elle s'applique aux stupéfiants et aux substances psychotropes
énumérés dans la
Convention unique sur les stupéflants
de 1961 et la
Convention sur les substances psychotropes, ainsi
qu'aux substances couramment utilisees dans la fabrication illicite de ces
drogues.
114
Les préoccupations et les activites des Nations Unies liées a
la lutte centre le trafic des drogues illicites ont continué de
s'intensifier au cours de la demière décennie. Divers organes et
organismes des Nations Unies se sont penchés sur le problème des
drogues illicites et sur des questions connexes, comme le crime organisè,
le recyclage de l'argent et le terrorisme. Une session extraordinaire de
l'Assemblée generale doit avoir lieu du 8 au 10 juin 1998 (Res. AG 51/64,
28 janvier 1997) pour examiner le probleme des drogues illicites, et on propose
à cette occasion l'adoption d'une déclaration au plus haut niveau
politique (Communique de presse, AG/SHC/313, 27 octobre 1997.)
115
Selon le nouveau programme de reformes (
Rénover l'Organisation
des Nations Unies: Unprogramme de réformes, Doc. NU A/51/950, 14
juillet 1997, au par. 144), le contrôle des drogues, la prevention du
crime et la lutte centre le terrorisme international constituent des domaines
prioritaires des Nations Unies pour les prochaines anneés. Le Programme
des Nations Unies pour le contr61e international des drogues et la Division de
la prévention du crime et de la justice pénale (rebaptisée
Centre de la prévention de la criminalite internationale) doivent etrê
restructurés afin de consolider les activités des NU dans ce
domaine (
ibid, par. 144 et 145). Le programme de réformes
reconnaît que
«les réseaux transnationaux de la criminalité, des stupéfiants,
du blanchiment de l'argent et du terrorisme» constituent une menace a
l'autorite des gouvemements, à la société civile et
à l'ordre public et qu'il s'agit d'un problème de plus en plus
preoccupant sur le plan international (
ibid., par. 143).
(2) Déclarations des Nations Unies concemant le trafic des drogues
illicites
116
Au cours des annees 80 et 90, des mesures intemationales de lutte centre le
trafic des drogues illicites ont figuré à l'ordre du jour de
chacune des sessions de l'Assemblée générale, et chaque
fois, l'Assemblée générale a adopté des résolutions
à ce sujet. Ces résolutions ne s'imposent pas légalement
aux
États Membres, mais elles énoncent clairement et vigoureusement ie
point de vue des Nations Unies et de ses membres. Les résolutions
relatives à la lutte centre le trafic de la drogue font toutes état
d'une vive préoccupation à l'égard du problème et
condamnent ceux qui en assurent la continuité et la progression.
117
Les extraits suivants d'une résolution de 1986 sur la «Campagne
intemationale contre le trafic des drogues», Rés. AG 41/127, 4 décembre
1986, donnent une idée du ton et de la teneur de ces déclarations:
Consciente de l'angoisse commune que les peuples du monde
éprouvent quant aux effets dévastateurs de l'abus et du trafic
illicite des drogues, qui mettent en péril la stabilité des
institutions démocratiques et le bien-être de l'humanité et
constituent donc une grave menace pour la sécurité et un obstacle
au développement de nombreux pays,
[...]
Considerant
que, malgré les efforts faits,
la situation continue de se dégrader
à cause, notamment. du lien de plus en plus étroit entre le trafic
des drogues et les organisations criminelles transnationales qui sont, pour une
large part, à l'origine du trafic des drogues et de l'abus des stupéfiants
et des substances psychotropes, comme de l'aggravation de la violence, de la
corruption et du mal fait a la société,
Constatant
une fois de plus que l'élimination de ce fléau implique la
reconnaissance d'une responsabilité partagee [...]
1.
Condamne sans équivoque tous les aspects du
trafic illicite des drogues: production, transformation, commercialisation et
consommation, en tant qu'activé criminelle, et demande à tous les
Etats de proclamer leur volonté politique de mener une lutte
concertée et universelle en viia d'éliminer complètement et
définitivement ce trafic; ...
[Je souligne.]
Des déclarations subséquentes expriment également l'inquiétude
que suscitent les répercussions néfastes sur la jeunesse de sa
participation à la production et au trafic de la drogue, le nombre
croissant de toxicomanes parmi les enfants et les jeunes (p. ex., Rés. AG
43/121, 8 décembre 1988; Rés. AG 44/141, 15 décembre 1989;
Rés. AG 46/103, 16 décembre 1991; Rés. AG 49/168, 24 février
1995), ainsi que les liens croissants entre le trafic de la drogue et le
terrorisme (p. ex.. Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés.
AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 46/103, 16 décembre
1991; Rés. AG 47/102, 16 décembre 1992; Rés. AG 48/112, 20
décembre 1993).
118
En 1990, une Déclaration politique et un Programme d'action mondial
ont été adoptes à la dix-septième session
extraordinaire de l'Assemblée générale consacrée
à la lutte contre l'abus et le trafic des drogues illicites. La Déclaration
politique énonce:
Nous, États Membres de l'Organisation des Nations Unies,
Prenant
part à la dix-septième session extraordinaire de l'Assemblée
générale, consacrée a la question de la coopération
Internationale contre la production, l'offre, la demande, ie trafic et la
distribution illicites de stupéfiants et de substances psychotropes,
Profondément alarmés par l'ampleur toujours
croissante prise par la demande, la production, l'offre le trafic et la
distribution illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, qui
font peser une menace grave et persistante sur la santé et le bien-être
de l'humanité, la stabilité des nations, les structures
politiques,
économiques sociales et culturelles de toutes les sociétés
et la vie et la dignité de millions d'êtres humains, tout spécialement
les jeunes.
[...]
Profondément préoccupés par la violence et la
corruption qu'engendrent la demande, la production, le trafic et la distribution
illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, ainsi que par le
cout humain, politique, économique et social élevé de la
toxicomanie et de la lutte centre le problème de la drogue, qui détoume
de la réalisation d'autrés priorités nationales, y compris
les activités de développement dans le cas des pays en développement,
une part des ressources limitées disponibles à ce titre,
[...]
Conscients des liens qui existent entre la toxicomanie et toute
une série de conséquences néfastes pour la santé, y
compris la transmission du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et
la propagation du syndrome de l'immunodéficience acquise (SIDA),
Considerant également que le trafic illicite de stupéfiants
et de substances psychotropes est une activité criminelle dont l'élimination
ne saurait être assuree que si tous les États y assignent un rang
de priorité élevé et s'y consacrent de façon concertée,
Notant que les profits considérables qu'elles tirent du
trafic illicite de drogues et des activités criminelles dont il
s'accompagne permettent aux organisations criminelles transnationales de
s'infiltrer dans les gouvemements, dans les activites cornmerciales légitimes
et dans la société à tous les niveaux, ainsi que d'en altérer
et d'en corrompre les structures, viciant ainsi le développement économique
et social, faussant le fonctionnement du droit et sapant les fondements des
États,
[...]
Alarmés par les liens de plus en plus étroits
existant entre le trafic illicite de stupefiants et les activités
terroristes, à quoi s'ajoutent l'insuffisance du contrôle exercé
sur le commerce d'armes, les transferts illicites ou clandestins d'armes et les
activites illégales de mercenaires,
[...]
Sommes convenus de ce qui suit:
1 Nous sommes
résolus à protéger l'humanité du fléau de la
toxicomanie et du trafic illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes;
2 Nous affirmons que les gouvemements et toutes les organisations
intemationales et régionales compétentes se doivent d'assigner un
rang de priorité élevé à la lutte centre la
toxicomanie et le trafic illicite de stupefiants et de substances psychotropes;
[...]
8
Nous condamnons sous toutes ses formes le délit que
constitue le trafic illicite de la drogue et réaffirmons notre
volonté politique de mener une action intemationale concertée
[...]; [Je souligne]
(Rés. AG S-17/2, 23 février 1990, Annexe.)
Plus récemment,
dans une résolution adoptée en janvier 1998, l'Assemblée générale
dit ce qui suit:
Constatant avec une vive préoccupation que,
en dépit des efforts redoublés des États et des organismes
internationaux compétents, on voit augmenter mondialement la demande, la
production et le trafic illicites de stupéfiants et de substances
psychotropes, y compris de drogues synthétiques et d'analogues de
substance illicite, qui, partout dans le monde, menacent la santé, la sécurité
et le bien-être de millions de personnes, en particulier les jeunes, ainsi
que les systèmes socioéconomiques et politiques et la stabilité,
la sécurité nationale et la souveraineté d'un nombre
croissant d'États,
Vivement alarmée par
la violence et le pouvoir économique croissants qu'exercent les
organisations criminelles et les groupes terroristes se livrant au trafic de
drogues et à d'autres activités criminelles telles que le
blanchiment de l'argent et le trafic d'armes et de précurseurs et
produits chimiques essentiels ainsi que par le développement des
relations transnationales entre ces organisations et groupes,
[...]
Se
rendant pleinement compte que les États, les organismes des Nations
Unies compétents et les banques multilatérales de développement
doivent faire preuve d'une plus grande volonté politique et attribuer un
plus haut rang de priorité à la lutte contre ce fléau qui
compromet le développement, la stabilité économique et
politique et les institutions démocratiques, entraîne pour les
gouvernements qui le combattent une charge économique de plus en plus
lourde et cause des pertes irréparables en vies humaines, [je souligne]
(Rés.
AG 52/92, 26 janvier 1998)
119
Faire le trafic de drogues illicites dangereuses c'est commettre un crime très
grave dont les conséquences sociales sont dévastatrices au Canada
et partout dans le monde. Vu les graves répercussions de ce fléau
à l'échelle internationale, il serait légitime de
s'attendre à ce que les Nations Unies aient examiné la question.
L'exposé qui précède montre que ces attentes n'ont pas
été déçues. Les études réalisées
par les Nations Unies confirment la gravité du crime et les
conséquences désastreuses qu'il continue d'engendrer. Ces études
et déclarations des Nations Unies concernant le trafic de la drogue
indiquent que ce crime peut, à n'en pas douter, être tenu pour
contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.
D. Application à la présente espèce: le trafic des
drogues illicites est-il contraire aux buts et aux principes des Nations Unies?
(1) Comment une cour de justice ou un tribunal devrait-il déterminer
ce qui constitue un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations
Unies?
120
À l'occasion, l'Organisation des Nations Unies a elle-même déclaré
expressément qu'une activité donnée était contraire
à ses buts et à ses principes. En pareil cas, selon la portée
juridique de la déclaration, le tribunal national peut être tenu de
conclure que l'acte est contraire aux buts et aux principes des Nations Unies
ou, à tout le moins, être convaincu qu'il convient de tirer une
telle conclusion. Tel est le cas en matière de disparition forcée,
de torture et de terrorisme international. La
Déclaration sur la
protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants (Rés. AG
3452(XXX), 9 décembre 1975, art. 2), dit que «tout acte de torture
ou tout autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant est un
outrage à la dignité humaine et doit être condamné
comme un reniement des buts de la Charte des Nations Unies».
121
La
Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre
les disparitions forcées (Rés. AG 47/133, 18 décembre
1992, par. 1(1)) renferme une disposition similaire en ce qui concerne la
disparition forcée. La
Déclaration sur les mesures visant
à éliminer le terrorisme international (Rés. AG 49/60,
17 février 1995, Annexe, art. 2) et la
Déclaration
complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à
éliminer le terrorisme international (Rés. AG 51/210, 16
janvier 1997, Annexe, art. 2) énoncent toutes deux que les actes, méthodes
et pratiques terroristes sont contraires aux buts et les principes des Nations
Unies. Ces déclarations établissent de façon éloquente
que les agissements déclarés contraires aux buts ou aux principes
des Nations Unies devraient être considérés comme tels,
notamment pour l'application de la
Convention relative au statut des réfugiés.
122
Il ne s'ensuit cependant pas que la catégorie des agissements
contraires aux buts et aux principes des Nations Unies doive être limitée
à ceux qui font expressément l'objet d'une déclaration en
ce sens. Le tribunal national peut, après examen des éléments
pertinents, conclure que d'autres types d'agissements sont visés. Dans le
cadre du présent pourvoi, deux autres catégories ont été
évoquées pour illustrer le genre d'agissements qui devraient
être tenus pour contraires aux buts et aux principes des Nations Unies,
notamment le crime international et le «crime d'intérêt
international». Bien que ces catégories puissent mettre sur la voie
lorsqu'il s'agit de déterminer quels agissements devraient être visés,
elles ne devraient pas être tenues pour concluantes, selon moi.
123
La catégorie des actes dont on convient qu'il s'agit de véritables
crimes internationaux est, du moins pour le moment, très restreinte. Ces
crimes seraient tenus pour être des agissements contraires aux buts et aux
principes des Nations Unies, mais je ne crois pas que ce soit les seuls actes
qui contreviennent à ces buts et principes. En revanche, la catégorie
des «crimes d'intérêt international», qui engloberait
les crimes visés par les conventions internationales prévoyant une
coopération internationale aux fins de la poursuite des contrevenants,
est une catégorie très générale (voir p. ex., M.C.
Bassiouni,
International Criminal Law, vol. 1,
Crimes (1986), aux pp. 135 et 136). Cet auteur inclurait certaines
activités qu'il ne conviendrait pas de qualifier de «contraires aux
buts et aux principes des Nations Unies». Les actes qui sont de fait visés
par cette expression ont de graves conséquences. Il s'ensuit que pour déterminer
l'étendue des exclusions prévues par la
Convention relative au statut des réfugiés, ces actes ne
doivent pas être définis d'une façon trop générale.
124
De même, chaque mesure des Nations Unies ne saurait être si
essentielle à la réalisation de ses buts et de ses principes que
tout acte y contrevenant ou en réduisant l'efficacité soit «contraire
aux buts et aux principes des Nations Unies». Il est vrai que l'un des
buts des Nations Unies, selon sa Charte, est de «[r]éaliser la coopération
internationale en résolvant les problèmes internationaux» (
Charte
des Nations Unies, R.T. Can. 1945 n
o 7, par. 1(3)). Toutefois,
vu le nombre considérable et croissant de domaines dans lesquels les
organismes des Nations Unies interviennent, il serait inapproprié de
renvoyer à cette gamme étendue d'activités pour définir
l'exclusion visée en l'espèce.
125
Néanmoins, certaines questions suscitent de telles inquiétudes
et donnent lieu à une activité tellement intense et constante
qu'on peut conclure qu'elles sont fondamentalement liées aux objectifs
des NU. Ce n'est pas seulement l'ampleur des inquiétudes et des activités
qui permettent de déterminer qu'une mesure est essentielle à la réalisation
des buts et principes des Nations Unies, mais également la nature du
problème et son lien avec les buts et les principes énoncés
dans la Charte. La communauté internationale a reconnu que certains problèmes,
en raison de leur gravité et de leur nature, constituent une menace pour
l'ensemble de communauté internationale et l'ordre public international.
Le comportement qui exerce une action directe ou importante sur ces
problèmes ou qui porte atteinte à des obligations ou à des
principes recueillant l'adhésion générale, dans les cas qui
s'y prêtent, être tenu pour contraire aux buts et aux principes des
Nations Unies. À mon avis, le trafic d'une drogue dangereuse comme l'héroïne,
pratiqué sur une vaste échelle, devrait entrer dans cette catégorie
de comportement.
126
Même si je conviens avec le juge Bastarache qu'une violation grave ou
systématique des droits de la personne constituerait un comportement
contraire aux buts et aux principes des Nations Unies, en tout déférence,
je ne crois pas qu'il s'agisse du seul comportement qui doive être pris en
considération pour interpréter la section F
c) de
l'article premier de la
Convention relative au statut des réfugiés.
Certes, la promotion du respect des droits de la personne est l'un des buts
fondamentaux des Nations Unies. Il existe cependant d'autres buts et principes
auxquels les actes d'un particulier ou d'un État peuvent porter atteinte.
Il peut être utile d'examiner les buts et les principes des Nations Unies
énoncés dans la
Charte:
Article 1
Les Buts des Nations Unies sont les suivants:
1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et
à cette fin: prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir
et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte
d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens
pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit
international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de
situations, de caractère international, susceptibles de mener à
une rupture de la paix;
2. Développer entre les nations des relations amicales fondées
sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et
de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres
mesures propres à consolider la paix du monde;
3. Réaliser la coopération internationale en résolvant
les problèmes internationaux d'ordre économique, social,
intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect
des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous
sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion;
4.
Être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces
fins communes.
Article 2
L'Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des Buts
énoncés à l'article 1, doivent agir conformément aux
Principes suivants:
1. L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité
souveraine de tous ses Membres.
2. Les Membres de l'Organisation, afin d'assurer à tous la jouissance
des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre,
doivent remplir de bonne foi les obligations qu'ils ont assumées aux
termes de la présente Charte.
3. Les Membres de l'Organisation règlent leurs différends
internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et
la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas
mises en danger.
4. Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance
politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible
avec les Buts des Nations Unies.
5. Les Membres de l'Organisation donnent à celle-ci pleine assistance
dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la
présente Charte et s'abstiennent de prêter assistance à un
État contre lequel l'Organisation entreprend une action préventive
ou coercitive.
6. L'Organisation fait en sorte que les États qui ne sont pas Membres
des Nations Unies agissent conformément à ces Principes dans la
mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité
internationales.
7. Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations
Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement
de la compétence nationale d'un État ni n'oblige les Membres
à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement
aux termes de la présente Charte; toutefois ce principe ne porte en rien
atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au
chapitre VII.
Ces principes sont réitérés et précisés
dans la
Déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les États
conformément à la Charte des Nations Unies (Rés.
AG 2625 (XXV), 24 octobre 1970, Annexe).
127
L'analyse effectuée pour déterminer ce qu'est un agissement
contraire à ces buts et à ces principes, ne doit pas forcément
porter sur un seul but, la protection des droits de la personne, bien qu'il
s'agisse d'un but important et que la
Convention relative au statut des réfugiés
soit un instrument de défense des droits de la personne. Même si le
but d'un instrument est pris en considération pour en interpréter
les dispositions, je ne pense pas qu'en l'espèce, il doive restreindre la
portée de l'exclusion de manière qu'elle vise seulement le
comportement lié directement aux droits de la personne. Il doit être
tenu compte de tous les buts et de tous les principes. En outre, certains types
de comportement peuvent concourir indirectement, mais substantiellement,
à la violation des droits de la personne; la participation au trafic des
drogues illicites pratiqué sur une vaste échelle entre selon moi
dans cette catégorie.
128
La
Convention relative au statut des réfugiés
devrait être interprétée de façon à protéger
le mieux possible les droits de la personne. Cependant, l'interprétation
d'une exclusion ne saurait être enfermée à jamais dans des
limites. Le sens donné à des termes tels «agissements
contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» devrait pouvoir
suivre l'évolution du droit international. Certes, il ne faut pas
étendre à la légère la portée de l'exclusion
prévue à la section F
c) de l'article premier de la
Convention
relative au statut des réfugiés, mais lorsque des
éléments de preuve probants indiquent qu'elle devrait être
interprétée d'une certaine façon, le tribunal ne devrait
pas être empêché de retenir cette interprétation.
129
Le droit international évolue constamment. Les tribunaux devraient
reconnaître que les indications fournies par les outils d'interprétation
que sont les travaux préparatoires et la pratique ultérieurement
suivie doivent être considérées à la lumière
de l'état actuel du droit et des ententes internationales. Il convient de
tenir compte des travaux préparatoires, mais cela ne signifie pas que les
tribunaux soient tenus de les interpréter strictement. Il y a lieu plutôt
de tenir compte des principes et des préoccupations qui les sous-tendent
en vue de leur donner un sens adapté au contexte contemporain. De même,
en ce qui concerne la pratique étatique, il convient d'assurer une
certaine harmonisation avec l'interprétation établie par la
pratique suivie par les États, mais cette interprétation doit
être adaptée selon l'évolution des notions et des principes
du droit international. L'interprétation des instruments juridiques
internationaux est un processus dynamique qui doit tenir compte des
circonstances actuelles. En d'autres termes, l'interprétation doit
s'adapter au contexte contemporain.
(2) Un particulier peut-il se rendre coupable d'agissements contraires aux
buts et aux principes des Nations Unies?
130
Le point de vue selon lequel les activités liées au trafic des
drogues illicites peuvent constituer des agissements contraires aux buts et aux
principes des Nations Unies suppose qu'un particulier peut se rendre coupable de
tels agissements. Bien que certaines personnes impliquées dans le trafic
des drogues illicites soient titulaires d'une charge publique ou occupent un
poste d'autorité, il est peu probable qu'elles se livrent à ce
trafic illicite en leur qualité de représentants de l'État.
Généralement, le trafiquant est un particulier qui n'a aucun lien
direct avec les autorités publiques.
131
Soutenir qu'un particulier qui n'agit pas pour le compte d'un État,
notamment à titre de représentant, peut se livrer à des
agissements contraires aux buts et aux principes d'une organisation
internationale regroupant des États nationaux va, je le reconnais,
à l'encontre de la thèse traditionnelle selon laquelle les buts et
les principes des Nations Unies, tout comme le droit international en général,
ne visent que les États et ne peuvent être violés que par
leurs représentants. C'est ce qui ressort des extraits des travaux préparatoires
et du Guide du HCNUR cités par l'appelant.
132
Toutefois, ces dernières années, la situation du particulier a
évolué en droit international. Désormais, il est généralement
admis que le particulier agissant à titre privé peut accomplir des
actes qui portent atteinte aux règles du droit international. Bien
qu'elle soit limitée, la responsabilité pénale
internationale du particulier existe. Certains des actes visés à
la section F
a) de l'article premier peuvent être le fait d'un
particulier n'agissant pas en tant que représentant ou mandataire d'un
État. La section F
c) de l'article premier peut donc s'appliquer
également au particulier. Ainsi, les actes terroristes incluant le rapt
ou le meurtre, la vente illicite d'armes par un marchand d'armes ou le trafic
d'héroïne pratiqué sur une vaste échelle susceptible
de financer les activités d'un terroriste ou d'un marchand d'armes
peuvent tous contrevenir aux buts et aux principes des Nations Unies.
133
Par ailleurs, certains des agissements expressément reconnus comme
étant contraires aux buts et aux principes des Nations Unies sont
également imputés, à tout le moins dans certains cas,
à des particuliers. Selon la
Déclaration sur les mesures
visant à éliminer le terrorisme international, op. cit., des
actes terroristes peuvent être perpétrés avec ou sans la
participation officielle d'un État. C'est ce qui ressort du préambule
qui renvoie aux «actes de terrorisme international,
y compris
ceux dans lesquels des États sont impliqués directement ou
indirectement» (je souligne).
134
La position adoptée par mon collègue le juge Bastarache selon
laquelle les «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations
Unies» devraient s'entendre, pour l'application de la
Convention
relative au statut des réfugiés, de violations graves des
droits de la personne ou de la persécution, suppose également
qu'un particulier peut se rendre coupable de tels agissements. Notre Cour a de
fait statué dans l'arrêt
Ward c. Canada (Minister of
Employment & Immigration)
[1993] 2 R.C.S. 689
, que la persécution
pouvait, dans certains cas, englober les actes d'un particulier, à
l'exclusion de toute participation de l'État (aux pp. 713 à 717).
(3) Le trafic des drogues illicites est-il un agissement contraire aux buts
et aux principes des Nations Unies?
135
Je suis d'avis que le trafic d'une drogue illicite dangereuse, pratiqué
sur une vaste échelle, peut constituer un agissement contraire aux buts
et aux principes des Nations Unies. Il justifierait donc l'exclusion du statut
de réfugié suivant la section F
c) de l'article premier
de la
Convention relative au statut des réfugiés. Je
suis d'accord avec le résultat auquel parviennent les tribunaux
d'instance inférieure et que propose l'intimé, mais j'arrive
à ce résultat en suivant un raisonnement quelque peu différent.
136
Tout d'abord, il importe d'exposer les propositions qui
ne fondent pas
ma position. D'entrée de jeu, je ne considère pas que le statut de
réfugié constitue un privilège ou un droit exceptionnel de
manière que tout doute puisse être interprété contre
le demandeur éventuel. Dans la mesure où les motifs du juge
Strayer de la Cour d'appel sont fondés sur cette assertion, je ne peux
donner mon adhésion à ce point de vue. Le droit de revendiquer le
statut de réfugié constitue un droit important, et toute exclusion
doit être interprétée conformément aux principes
établis.
137
Ensuite, s'il y a lieu de conclure que le trafic des drogues illicites est
visé à la section F
c) de l'article premier, ce n'est pas
parce que le Canada devrait pouvoir exclure du processus de reconnaissance du
statut de réfugié les personnes jugées «indésirables»
ou ayant commis un crime au Canada, sans plus. Ces affaires doivent
être traitées, le cas échéant, conformément
aux dispositions relatives au refoulement qui sont intégrées
à la
Loi sur l'immigration, L.R.C (1985), ch. I-2.
138
Il ne s'agit pas non plus, comme le laisse entendre l'intimé, de
soutenir d'une certaine manière la «guerre contre la drogue».
Les obligations du Canada n'exigent pas qu'il refuse le statut de réfugié
à ceux qui participent au commerce de la drogue. C'est plutôt qu'en
concluant que la disposition portant exclusion s'applique au trafic de la
drogue, l'on tient compte de cette dure réalité que, tant sur le
plan juridique que pratique, cette activité est reconnue non seulement
comme un acte criminel à l'échelle nationale, mais comme une
source de maux très graves et très importants infligés
à la communauté internationale. C'est en raison de la gravité
de ses conséquences que cette activité peut et devrait justifier
l'exclusion. Cette conclusion résulte de l'examen et de l'application des
mêmes principes qui ont amené la communauté internationale
à déterminer que certaines personnes ne devraient pas, en raison
de la nature de leurs actes, être autorisées à demander la
reconnaissance du statut de réfugié, qu'elles auraient autrement
le droit de revendiquer.
(4) Le trafic des drogues illicites en tant que crime international
139
Le trafic des drogues illicites est manifestement un «crime d'intérêt
international». La
Convention contre le trafic illicite reconnaît
expressément que «le trafic illicite est une activité
criminelle internationale dont l'élimination exige une attention
urgente et le rang de priorité le plus
élevé» (préambule). Tous les États parties
sont tenus de collaborer à la prévention et à la répression
des infractions liées au trafic de la drogue. Les résolutions de
l'Assemblée générale qualifient également le trafic
des drogues illicites d'activité criminelle dont l'élimination
exige une coopération internationale (p. ex., Rés. AG 39/141, 14 décembre
1984, Annexe; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986).
140
Sur le plan juridique, il est moins évident que le trafic illicite
soit un «crime international», surtout parce qu'on ne s'entend pas
sur la définition du véritable crime international (J.F. Murphy,
«International Crimes» dans C.C. Joyner, éd.,
The United
Nations and International Law (1997), 362, aux pp. 362 et 363.) Selon un
auteur, [TRADUCTION] «la
Convention contre le trafic illicite et
d'autres actions multilatérales antérieures permettent de soutenir
que le trafic de la drogue international constitue un crime en droit
international coutumier» (
ibid., aux pp. 369 et 370). Toutefois,
il ne semble pas encore établi qu'il existe une compétence
universelle à l'égard des crimes liés au trafic de la
drogue. La plus récente version du
Projet de Code des crimes contre
la paix et la sécurité de l'humanité (
Rapport de
la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-huitième
session, Doc. NU A/51/10, ch. 2) de la Commission du droit international ne
renferme aucune disposition sur le trafic des stupéfiants, contrairement
à une ébauche antérieure (
Projet d'articles du Projet
de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité,
Doc. UN A/46/405, 11 septembre 1991, 30 I.L.M. 1584). Le commentaire de la plus
récente version indique cependant que cette omission ne doit pas être
interprétée comme faisant obstacle à d'autres discussions
ni même à l'éventuelle inclusion de ces dispositions (
Rapport
de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-huitième
session, op. cit., au par. 40).
141
Tous ces éléments peuvent être pris en considération
pour déterminer si le trafic des drogues illicites est contraire aux buts
et aux principes des Nations Unies. Toutefois, le fait qu'un acte constitue un
crime international ou un crime d'intérêt international n'est pas déterminant,
selon moi, pour trancher la question. Il faut plutôt examiner celle-ci en
tenant compte de tous les facteurs pertinents.
(5) Nature et gravité des méfaits du trafic des drogues
illicites
142
L'appelant et l'intervenant ont tenté d'établir, dans le cadre
du présent pourvoi, certains principes permettant de déterminer
quels «crimes d'intérêt international» ou activités
contraires à un programme ou à une mesure des Nations Unies sont
susceptibles d'être qualifiés d'«agissements contraires aux
buts et aux principes des Nations Unies». À mon avis, le facteur
supplémentaire qui distingue le trafic des drogues illicites d'autres
«crimes d'intérêt international» ou des mesures des
Nations Unies est la nature et la gravité des maux infligés aux
populations dans le monde et à la communauté internationale dans
son ensemble. L'analyse de la nature et de la gravité de ces maux permet
de dégager certains principes afin d'établir les distinctions nécessaires.
143
Les effets insidieux et profonds de l'usage et du trafic de la drogue ont déjà
été décrits. Il ne fait aucun doute que les méfaits
du trafic illicite de la drogue sont d'une gravité extrême. Il n'épargne
ni la vie des personnes, ni celles des familles et des collectivités. Il
déstabilise des nations et des régions entières et en
retarde le développement. Manifestement, la profonde préoccupation
constamment exprimée par la communauté internationale est justifiée.
Il ne fait aucun doute non plus que le problème s'aggrave, tout
comme s'accroît dans le monde l'inquiétude que suscitent ses conséquences.
144
Tout au long du présent siècle, le trafic de la drogue a
constitué une activité internationale et, par conséquent,
un problème international. Cependant, l'ampleur toujours croissante du
trafic, l'apparente efficacité de l'organisation et des méthodes,
les sommes considérables en jeu et les liens de plus en plus étroits
entre le crime organisé transnational et les organisations terroristes
constituent une menace toujours plus grande de par sa nature et son étendue.
Le trafic des drogues illicites menace désormais la paix et la sécurité
à l'échelon national et international. Il porte atteinte à
la souveraineté de certains États, au droit à l'autodétermination
et à un gouvernement démocratique, à la stabilité
économique, sociale et politique, ainsi qu'aux droits de la personne. Bon
nombre des buts et des principes énoncés dans la
Charte des
Nations Unies sont directement ou indirectement minés par le
commerce international des drogues illicites: par exemple, le maintien de la
paix et la sécurité internationales (par. 1(1)), le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes (par. 1(2)), le règlement des
problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel
ou humanitaire (par. 1(3)), le respect des droits de l'homme (par. 1(3)), l'égalité
souveraine des membres (par. 2(1)) et l'exclusion du recours à l'emploi
de la force (art. 2(4)). J'en conclus que les agissements d'au moins certaines
des personnes qui participent à cette activité doivent être
tenus pour contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
(6) Déclarations explicites des Nations Unies concernant le trafic
des drogues illicites
145
Les déclarations de la communauté internationale sur le sujet,
y compris les conventions et les résolutions de l'Assemblée générale
pertinentes, dénotent une sensibilisation aiguë à
la nature et à la gravité du problème et une condamnation sévère
des activités qui sont à l'origine de ce problème.
L'intervenant, le Conseil canadien pour les réfugiés, a soutenu
que le silence de l'Organisation des Nations Unies sur le trafic des drogues
illicites, par opposition, notamment, à son attitude à l'égard
de la torture et du terrorisme international, indique que ce trafic ne devrait
pas être tenu pour contraire à ses buts et à ses principes.
Mais, dans les faits, l'Organisation des Nations Unies n'a pas cessé
d'exprimer son inquiétude au sujet du trafic international des drogues
illicites et de ses effets.
146
Il est vrai que l'Organisation des Nations Unies n'a jamais expressément
déclaré que le trafic de la drogue était «contraire
aux buts et aux principes des Nations Unies». Toutefois, elle a clairement
et fréquemment reconnu et dénoncé les méfaits de ce
commerce illicite. Voir par exemple:
Le trafic de stupéfiants ou de substances psychotropes est un
crime international grave contre l'humanité.
(Projet
de convention contre le trafic des stupéfiants et des substances
psychotropes et les activités connexes, Rés. AG 39/141, 14 décembre
1984, Annexe, art. 2)
[L'Assemblée générale]
[c]ondamne sans équivoque tous les aspects du trafic illicite des
drogues.
(Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986, art. 1)
Nous
condamnons sous toutes ses formes le délit que constitue le trafic
illicite de la drogue...
(Déclaration politique,
Rés. AG S-17/2, 23 février 1990, Annexe, art. 8)
[L'Assemblée
générale] [c]ondamne énergiquement le trafic de drogues
sous toutes ses formes.
(Rés. AG 45/149, 18 décembre
1990; Rés. AG 46/103, 16 décembre 1991)
[L'Assemblée
générale] condamne de nouveau le trafic de drogues sous toutes ses
formes.
(Rés. AG 47/102, 16 décembre
1992; Rés. AG 48/112, 20 décembre 1993)
147
En outre, de nombreuses déclarations dénotent une
sensibilisation au fait que le trafic des drogues menace des aspects essentiels
des buts et des principes des Nations Unies, notamment:
la santé et le bien-être (p. ex. Rés. AG 36/132, 14 décembre
1981; Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, Annexe; Rés. AG
40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986;
Rés. AG 044/142, 15 décembre 1989; Rés. AG S-17/2, 23 février
1990, Annexe; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG
51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);
les
structures politiques, économiques, sociales et culturelles (p. ex., Rés.
AG 42/113, 7 décembre 1987; Rés. AG 43/122, 8 décembre
1988; Rés. AG 44/141, 15 décembre 1989; Rés. AG 44/142, 15
décembre 1989; Rés. AG S-17/2, 23 février 1990, Annexe; Rés.
AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février
1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier
1998);
le développement (p. ex., Rés. AG 38/122, 16 décembre
1983; Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, Annexe; Rés. AG
40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986;
Rés. AG S-17/2, 23 février 1990, Annexe; Rés. AG 49/168, 24
février 1995; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);
la
stabilité politique et économique (p.ex., Rés. AG 40/122,
13 décembre 1985; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés.
AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février
1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier
1998);
la sécurité nationale (p. ex., Rés. AG
36/132, 14 décembre 1981; Rés. AG 38/122, 16 décembre 1983;
Rés. AG 40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre
1986; Rés. AG 42/113, 7 décembre 1987; Rés. AG 43/122, 8 décembre
1988; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG 45/149, 18
décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés.
AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);
la
souveraineté (p. ex., Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984,
Annexe; Rés. AG 40/121, 13 décembre 1985; Rés. AG 44/142,
15 décembre 1989; Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés.
AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés.
AG 52/92, 26 janvier 1998);
les droits de l'homme (p. ex., Rés.
AG 44/39, 4 décembre 1989; Rés. AG 49/168, 24 février
1995);
les institutions démocratiques (p. ex., Rés. AG
40/121, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986;
Rés. AG 42/113, 7 décembre 1987; Rés. AG 43/122,
8 décembre 1988; Rés. AG 44/141, 15 décembre 1989; Rés.
AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997).
148
À des fins de comparaison, rappelons que l'article de la
Déclaration
sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international, op.
cit., qui énonce que les actes, méthodes et pratiques
terroristes violent gravement les buts et principes des Nations Unies ajoute
qu'ils «peuvent constituer une menace pour la paix et la sécurité
internationales, compromettre les relations amicales entre les États,
entraver la coopération internationale et viser à l'anéantissement
des droits de l'homme, des libertés fondamentales et des bases démocratiques
de la société». Les Nations Unies ayant expressément
reconnu que le trafic des drogues illicites peut constituer une menace du même
ordre, je crois qu'il est raisonnable de conclure que cette activité est
également contraire à ses buts et à ses principes.
149
Cette conclusion est renforcée en outre par la reconnaissance du fait
que le trafic des drogues illicites est de plus en plus lié à
d'autres agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
L'Organisation des Nations Unies a déclaré que le trafic des
drogues illicites est directement et indirectement à l'origine de graves
violations des droits de l'homme. Les liens de plus en plus étroits entre
ce trafic et le terrorisme international indiquent clairement que les
narcodollars servent à financer l'activité terroriste. La
communauté internationale l'a récemment reconnu dans la
Déclaration
complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à
éliminer le terrorisme international, op. cit., en affirmant ce qui
suit:
2 Les États Membres de l'Organisation des Nations Unies réaffirment
que les actes, méthodes et pratiques terroristes sont contraires aux buts
et aux principes des Nations Unies; ils déclarent que
sont
également contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, pour
les personnes qui s'y livrent sciemment, le
financement et la planification d'actes de terrorisme et l'incitation à
de tels actes; [Je souligne.]
150
Les déclarations des Nations Unies et de la communauté
internationale mènent inexorablement à la conclusion que ceux qui
se livrent au trafic des drogues illicites sont responsables, directement ou
indirectement, de maux d'une ampleur telle et d'une gravité telle qu'ils
sapent les buts et les principes mêmes sur lesquels se fondent les Nations
Unies. Il s'ensuit que leurs actes doivent être considérés
comme des «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations
Unies» et ils sont donc visés par l'exclusion prévue
à la section F
c) de l'article premier de la
Convention
relative au statut des réfugiés.
151
Reste la difficulté de déterminer quels actes, au sein de la
catégorie générale du trafic des drogues illicites,
constituent des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations
Unies. L'Assemblée générale des Nations Unies a condamné
«tous les aspects du trafic illicite des drogues», y compris la
production, la transformation, la commercialisation et la consommation (p. ex.,
Rés. AG 41/127.4 décembre 1986). Je crois toutefois qu'il est nécessaire
d'établir certaines distinctions en fonction de la nature et de l'ampleur
des activités. Ce sont les personnes qui se livrent de fait au trafic de
la drogue qui touchent la plus grande partie des profits, causent les dommages
les plus importants et donc sont responsables au premier chef de la perpétuation
de ce commerce illicite. Les simples consommateurs sont souvent eux-mêmes
des victimes et ne sauraient se voir imputer la même responsabilité.
La
Convention contre le trafic illicite reprend cette distinction en
traitant la production, la transformation, la distribution et la vente différemment
de la détention, de l'achat ou de la culture destinés à la
consommation personnelle lorsqu'il s'agit des infractions et des sanctions
(article 3).
152
La
Convention contre le trafic illicite contient également
certains éléments permettant de discerner des infractions
particulièrement graves liées au trafic. Le paragraphe (5) de
l'art. 3 énonce un certain nombre de «circonstances factuelles conférant
une particulière gravité aux infractions établies conformément
au paragraphe 1 du présent article»:
a) La participation à la commission de l'infraction
d'une organisation de malfaiteurs à laquelle l'auteur de l'infraction
appartient;
b) La participation de l'auteur de l'infraction
à d'autres activités criminelles organisées
internationales;
c) La participation de l'auteur de
l'infraction à d'autres activités illégales facilitées
par la commission de l'infraction;
d) L'usage de la violence ou
d'armes par l'auteur de l'infraction;
e) Le fait que l'auteur
de l'infraction assume une charge publique et que l'infraction est liée
à ladite charge;
f) La victimisation ou l'utilisation de
mineurs;
g) Le fait que l'infraction a été
commise dans un établissement pénitentiaire, dans un établissement
d'enseignement, dans un centre de services sociaux ou dans leur voisinage immédiat
ou en d'autres lieux où des écoliers et des étudiants se
livrent à des activités éducatives, sportives ou sociales;
h)
Dans la mesure où le droit interne d'une Partie le permet, les
condamnations antérieures, en particulier pour des infractions analogues,
dans le pays ou à l'étranger.
153
J'ajouterais à cette liste de facteurs à prendre en considération
la nature et la quantité des drogues en cause. Le projet de code de la
Commission du droit international qui qualifie le trafic illicite des stupéfiants
de crime international (
Projet d'articles du Projet de Code des crimes
contre la paix et la sécurité de l'humanité, op. cit.,
par. 25(1)) renvoie au trafic pratiqué «sur une vaste échelle.
Évidemment, la question de savoir si, dans un cas donné, le trafic
est pratiqué «sur une vaste échelle» est une question
d'interprétation. Dans le commentaire relatif à cet article, la
Commission du droit international établit une distinction entre
«des activités isolées ou individuelles de petits revendeurs»
et «des opérations bien organisées, d'une grande envergure»
(
Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa
quarante-deuxième session, Doc. NU A/CN.4/SER.A/1990/Add.1 (2
e
partie), dans
Annuaire de la Commission du droit international 1990,
vol. II, Partie 2, à la p. 30).
154
Dans la présente espèce, l'appelant faisait partie d'un groupe
organisé se livrant au trafic de l'un des stupéfiants illicites
les plus nocifs, l'héroïne (
World Drug Report, op. cit.).
De toute évidence, la consommation et le trafic de cette substance
suscitent des inquiétudes particulièrement graves. Au moment des
arrestations, le groupe auquel l'appelant était associé avait en
sa possession une quantité d'héroïne dont la valeur marchande
était d'environ 10 millions de dollars. Il s'agissait manifestement d'une
opération d'envergure, et l'appelant y jouait un rôle important.
Selon moi, ces faits établissent nettement la gravité du crime
perpétré par l'appelant. En conséquence, même si
toutes les infractions liées aux stupéfiants incriminées
par la loi canadienne ne permettront pas d'invoquer l'exclusion prévue
à la section F
c) de l'article premier de la
Convention
relative au statut des réfugiés, les actes commis par
l'appelant, eux, devraient justifier son exclusion. L'appelant a pratiqué
sur une vaste échelle le trafic de l'une des drogues les plus débilitantes.
Il a abusé de son statut au Canada et a mis en danger la vie, la santé
et le bien-être de nombreuses personnes. Aucun motif ne justifie que les
Canadiens souffrent plus longtemps sa présence. Il a fait la preuve du
danger qu'il représente pour la société canadienne, ainsi
que pour la communauté internationale. Il ne devrait pas demeurer au
Canada.
(7) Recours susceptibles d'être exercés avant l'expulsion
155
Pendant l'audition du pourvoi, on a dit craindre que l'appelant, ou toute
autre personne exclue en application de la section F de l'article premier, ne
soit exposé à la torture ou ne risque l'exécution ou
d'autres violations graves des droits de la personne s'il est expulsé
vers son pays d'origine. On a affirmé qu'aucun recours efficace ne
pouvait être exercé pour empêcher l'expulsion si l'appelant
était exposé à un tel risque. On a laissé entendre
que l'absence de tout recours causerait une grave injustice et emporterait la
violation, par le Canada, de ses obligations juridiques aux termes de divers
instruments internationaux. Plus particulièrement, le Canada manquait
à l'obligation qu'il a contractée aux termes de la
Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
R.T. Can. 1987 n
o 36, de ne pas expulser une personne vers un autre
État lorsqu'il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être
soumise à la torture (par. 3(1)), ainsi qu'à des obligations
semblables prévues par les
Principes relatifs à la prévention
efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux
moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions
(E/RES/1989/65, 24 mai 1989; art. 5) et la
Déclaration sur la
protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées
des Nations Unies,
op.cit., art. 8.
156
Bien que ces questions suscitent à juste titre de vives inquiétudes,
elles ne font pas directement l'objet du présent pourvoi. On a soutenu
que notre Cour pourrait en tenir compte en adoptant une méthode dite de
«pondération» pour interpréter l'exclusion prévue
à la section F de l'article premier. Le recours à une telle méthode
ne serait pas approprié en l'espèce vu la nature et le libellé
de cette disposition.
157
Dans le cadre du présent pourvoi, il n'est ni nécessaire ni
souhaitable d'examiner en détail les recours que peut actuellement
exercer la personne susceptible d'être expulsée ni de suggérer
quelle forme devrait prendre un tel recours. Cependant, il serait impensable
qu'une audience équitable n'ait pas lieu devant un arbitre impartial pour
déterminer s'il y a des «motifs sérieux de croire» que
la personne visée par la mesure d'expulsion risque la torture, l'exécution
arbitraire, la disparition ou une autre violation grave des droits de la
personne. Vu la gravité des conséquences de l'expulsion dans un
tel cas, l'intéressé doit avoir l'occasion d'être entendu
avant son expulsion, et l'audience doit être tenue conformément aux
principes de la justice naturelle. De même, l'intéressé a
droit au contrôle judiciaire de la décision rendue pour s'assurer
qu'elle est bien conforme à ces principes. Ces garanties devraient
s'appliquer que l'intéressé soit exclu du statut de réfugié
ou non, afin d'éviter que l'exclusion n'ait des conséquences sévères
inadmissibles.
III. Conclusion
158
En définitive, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
Cory, J.Major, J.
Lorne Waldman et Jaswinder Singh Gill, pour l'appelant.
Urszula Kaczmarczyk et Bonnie Boucher, pour l'intimé.
David Matas et Sharryn Aiken, pour l'intervenant.
Date de mise à jour : 7 janvier 2005
Date de dépôt : 11 juin 1998